Quel est le moyen politique susceptible de conduire à la stabilité des cités chez Platon ? A cette interrogation, la réponse communément avancée : le dialogue, ne tient pas, car aucun dialogue ne saurait s'établir entre le philosophe qui est de nature divine et la doxa qui, elle, est de nature animale. Le seul rapport qui peut s'établir entre eux, et qui constitue ainsi la réponse à l'interrogation, est la domination.
[...] Il ne peut atteindre l'ordre et la stabilité dans la polis, qu'à supprimer ces déviations qui naissent de l'agir-ensemble de la multitude. La violence apparaît en fin de compte comme nécessaire dans la construction de la cité idéale, puisqu'elle permet à l'homme de raison, au chef, de faire des choses utiles. Si l'autorité de la raison ne suffit pas à elle seule pour le bien de tous et de la cité, les chefs de cette cité peuvent en effet s'aider de violence. [...]
[...] Ainsi, mieux que le dialogue, la domination du philosophe apparaît comme l'arme idéale pour l'institution de la stabilité dans les affaires humaines. En dominant la multitude, en lui donnant des ordres et en la confinant dans l'exécution des ordres donnés, le philosophe atteint ainsi le gouvernement véritable, celui de l'homme unique qui gouverne avec art[23] Gouverner avec art, c'est conduire la multitude comme le berger son troupeau, c'est la faire paître Mais si le philosophe doit commander la multitude, c'est parce qu'il est le seul qui sait ce qui convient à cette multitude qui, d'ailleurs, marche sur la voie de l'ignorance et de la fausseté. [...]
[...] Or l'action politique qui vient de praxis veut dire archein et prattein, où archein signifie tout à la fois : entreprendre, initier, commencer et gouverner, commander, dominer Prattein, quant à lui, veut dire : mener-à-son-terme-la-chose commencée[16] Autrement dit, pour la pensée grecque antique, l'action politique, c'est-à-dire la praxis n'est possible que chaque fois que celui qui initie quelque chose, s'insère dans la pluralité, trouve des amis fidèles avec lesquels il peut conduire, grâce au parler-ensemble, la chose initiée à son terme. Ce rapport entre archein et prattein s'exprime à travers le vocable grec archôn. [...]
[...] Comme Arendt ne cesse de le déclarer, la domination ne relevait pas, pour les Grecs, de la bios dans la polis ; c'était une méthode pré-politique de traiter les hommes. C'est ce qui caractérisait la vie hors de la polis, celle du foyer et de la famille, dont le chef exerçait un pouvoir absolu, ou celle des empires barbares de l'Asie, dont on comparait le régime despotique à l'organisation de la famille[21] Que la domination soit la volonté manifeste de Platon de transformer la polis en un vaste domaine privé, une maisonnée, cela ressortit à sa communauté communiste telle que l'enseigne La république. [...]
[...] Seulement, mieux qu'une correspondance entre deux modes de vie, en sectionnant la praxis pour n'en retenir qu'archein, en empêchant le parler-ensemble et l'agir-ensemble de la multitude, parce que source de désordre, et en remplaçant cet agir-ensemble par un rapport de gouvernants et de gouvernés, de ceux qui donnent des ordres et de ceux qui exécutent les ordres donnés, Platon, non seulement, détruit le bios politikos tel que l'entendent les Grecs, mais aussi et surtout transforme ce bios politikos en une vaste oikia. Pour les Grecs, en effet, la domination n'est que la catégorie centrale et prédominante de l'oikos. [...]
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