Le texte ici présent est une réponse faite par le sophiste Gorgias au questionnement ironique de Socrate concernant le pouvoir des orateurs : « Je me demande depuis longtemps quelle est cette puissance de l'art oratoire. A voir ce qui se passe, elle me semble d'une grandeur presque divine ». Gorgias donne, dans cet extrait, une définition « en actes » de la rhétorique, c'est-à-dire qu'il prend des exemples concrets, ou du moins qu'il part d'exemples concrets, puis ensuite tirer des conclusions beaucoup plus générales... Nous nous demanderons alors ce qu'est la rhétorique, et quel est son pouvoir.
(...) Gorgias est fier de sa capacité à pouvoir persuader de ce qu'il ne connaît pas. Cependant il y a ici un problème d'opposition entre le fait et le droit. Socrate n'est pas intéressé par la capacité qu'on peut avoir à persuader autrui, il sait bien entendu que ce pouvoir existe. Il s'interroge sur la légitimité de cet acte, et veut en fait amener Gorgias à réfléchir sur sa valeur morale. Nous savons d'ailleurs que Platon veut bannir de la Kallipolis (la cité idéale) les orateurs, car leur discours ne fait appel qu'aux apparences. Selon Platon, il y a différents degrés de vérité, l'image d'un objet, l'objet sensible, l'idée de l'objet, et enfin l'Idée (du Beau, du Bien, du Vrai...). Cela peut être adapté à l'orateur, qui reste dans l'image, l'artifice, ce qui est donc le plus bas degré de vérité. L'orateur corrompt donc car il persuade de choses qui sont fausses, et son pouvoir de manipulation est grand.
Cependant dans cette première partie Gorgias ventait les mérites de l'orateur, lorsque celui-ci mettait son art au service d'une autre discipline. Nous pouvions encore éventuellement voir les bons côtés de la rhétorique dans cette situation-là. Cependant, ce n'est plus le cas dans la seconde partie du texte, où l'orateur ne reste plus au service de la compétence, mais prend sa place (...)
[...] Il faut noter que la critique qu'on peut déduire de cet extrait ne condamne pas seulement l'orateur mais également le peuple. En effet, comment peut-on se laisser berner seulement par des discours, comment peut- on être si naïf, se tromper à ce point ? La foule est un ensemble indifférencié d'individus qui ne réfléchissent pas chacun mais sont soumis à une vision d'ensemble qui est l'opinion, et qui est trop facilement influençable ! La critique de la démocratie est présente dans la République de Platon. La souveraineté du peuple est dangereuse, car celui- ci n'est pas instruit. [...]
[...] On comprend alors que la rhétorique peut être dangereuse, car elle n'est pas liée au vrai, ne fait pas appel à la raison. Elle n'essaie pas de convaincre par des arguments, mais de persuader, de jouer sur la corde sensible, afin de manipuler l'autre. On imagine bien les ravages en politique ! Ainsi, pour Socrate (et Platon), la rhétorique est tout sauf un art. C'est un savoir-faire, une perspicacité à tromper. Elle est laide, à mon avis, car j'appelle laid tout ce qui est mauvais. [...]
[...] Or le vrai bien de l'âme, c'est le Juste et le Bien ! Là où le problème se pose avec le sophiste, c'est que celui-ci ne parle pas à l'âme, il reste dans le domaine des sens. Il n'apprend absolument rien, il se contente de faire croire. Il ne fait donc jamais appel à la raison, or c'est la seule qui puisse amener aux Idées de Bien, de Juste, de Vrai, etc Ainsi l'orateur ne pourra guérir aucun mal. Enfin, la dernière idée défendue par Gorgias est celle de la supériorité du sophiste sur tout homme compétent ! [...]
[...] Cependant, notons qu'ici l'art oratoire reste au service de la compétence ce qui n'est pas toujours le cas ! Par ailleurs, nous pourrions nuancer l'optimisme de Gorgias car la rhétorique qu'il utilise est fondamentalement basée sur l'ignorance ! En effet, l'orateur ne l'emporte que sur le malade, donc sur l'ignorant. S'il essayait de persuader le médecin, il n'y parviendrait pas car le médecin est qualifié dans son domaine, et ne pourrait être sensible qu'aux arguments justifiés, aux preuves apportées par ses collègues. [...]
[...] Là où le médecin voulait utiliser la science et la raison pour convaincre le patient qu'il fallait accepter d'être soigné, Gorgias a utilisé la rhétorique, cet art du discours qui a pour but d'organiser les mots en vue de la persuasion et sans respect obligatoire du vrai. Ainsi il a fait appel aux sens en persuadant le patient, et non en le convaincant à l'aide de la raison. Gorgias semble particulièrement fier de ce qu'il a accompli, et nous invite donc à penser que la rhétorique est un bien. [...]
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