Plaisir raisonnable, moralité, plaisir empirique de plaire, Hegel, Rousseau, soigner son image, Baudelaire
Le vouloir plaire n'est pas si naturel et spontané qu'il y paraît. Hegel et Kierkegaard diraient qu'il est lié à la scission constitutive du moi humain.
L'homme n'est pas seulement conscience du monde, mais conscience réflexive de soi. Si la conscience de soi passe par le stade du miroir, autrui ne cesse de remplir la fonction de réflexivité de l'image de soi et sa médiation est nécessaire à la constitution de la représentation que chacun se fait de soi-même, laquelle se prolonge dans une plus ou moins grande sécurité psychologique et une plus ou moins grande estime de soi.
[...] L'imagination est la faculté sensible où viennent puiser tout à la fois l'art de plaire et le plaisir de plaire, l'art de séduire et le plaisir de séduire. Si l'on se situe maintenant à un niveau beaucoup plus général du plaire que celui des relations entre sexes, les stratégies commerciales contemporaines nous montrent qu'il n'y a pas moins de risque de manipulation et d'aliénation dans le vouloir plaire que dans le vouloir séduire, mieux, que les deux tendent à se confondre. [...]
[...] Plaire serait ainsi sinon une vaste entreprise de camouflage, du moins une variante de l'usage instinctif des codes de la séduction comme volonté de capter le regard, sans en sortir. Si la stratégie de la séduction au sens prédateur du terme repose sur le men songe, comme nous l'avons vu avec Valmont, la stratégie du plaire repo serait quant à elle sur la mauvaise foi, qui est selon Sartre le mensonge à soi-même et la duplicité de la conscience. Le plaisir de plaire serait une simple modalité particulière du plaisir de séduire. [...]
[...] Le plaisir de plaire est donc le plaisir de soigner son image. Il est culturel au sens du vernis culturel et de la superficialité. Ce n'est pas l'être qui plaît, mais l'apparaître. Plaire repose alors davantage sur l'amour-propre que sur l'amour de soi, si nous convenons avec Rousseau que l'amour de soi consiste à s'aimer soi- même directement, sans le regard d'autrui, alors que l'amour-propre, qui est un mal social, consiste à s'aimer indirectement, sous le regard et par la médiation permanente d'autrui. [...]
[...] Le plaisir de plaire serait donc seulement la version soft, édulcorée du plaisir de séduire. Dans De l 'art de persuader; Pascal appelle joliment l'art de plaire «l'art d'agréer C'est, dit-il, une manière de persuader et non une manière de convaincre. Plaire ne convainc en effet pas plus que séduire. Plaire et séduire sont par conséquent deux manifestations différentes d'une seule et même stratégie de persuasion ; si bien quelles s'opposent ensemble à l'effort de convaincre, qui est l'effort rationnel d'apporter la démonstration logiquement contraignante d'une hypothèse. [...]
[...] C 'est pourquoi l'adolescent est si mal à l'aise avec son image. Il voudrait d'abord se plaire à lui-même pour pouvoir plaire aux autres. La première nature, sous quelque forme qu'on la considère : enfance, état de nature pour les philosophes ou jardin d 'Eden pour les religions monothéistes, est perdue et ne peut être au mieux que l'objet d'une reconstruction a posteriori, avec l'illusion rétrospective que cela com porte. Rousseau lui-même disait qu'à l'état naturel, l'homme n'était qu'un animal stupide et borné au seul instinct physique sans conscience, sans langage, sans sociabilité et, dans le Discours sur l'origine de l'inégalité parmi les hommes, il parle du mythe biblique du paradis : un gardien avec une épée de feu empêche qu'on y revienne. [...]
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