Sciences humaines et arts, plaisir, annulation d'un déplaisir, apaisement, question de dosage, jouissance, absence de douleur
Le plaisir peut s'entendre de deux manières différentes : soit comme la
jouissance, soit comme l'absence de douleur et de souffrance ; ne pas souffrir,
c'est en effet déjà éprouver du plaisir, ne serait-ce qu'à se sentir vivre. Le premier de ces deux sens est le sens commun ; le second a été initialement apporté dans l'histoire de la philosophie occidentale par les épicuriens, qui préconisaient non pas la jouissance, comme on le croit souvent, mais au contraire l'ataraxie. Le rapport entre le désir et le plaisir fait donc problème : pour l'opinion commune, le désir est une promesse de plaisir, entendu comme jouissance ; et le plaisir est l'assouvissement d'un désir préalable. Mais pour les épicuriens, au contraire, le désir est un manque, c'est-à-dire une insuffisance, une douleur et le plaisir n'en est pas l'assouvissement mais au contraire la délivrance, ce qui change tout. Freud ira même plus loin en postulant dans son fameux essai Par-delà le principe de plaisir, en 1922, dans ses Essais de psychanalyse, à la suite de Fechner, que « le plaisir est l'annulation d'un déplaisir ».
[...] Ils nous apportent donc la franche alternative que nous recherchions, tant au plaisir comme annulation d'un déplaisir qu'au plaisir mêlé à un déplaisir. Ces plaisirs purs sont ces instants d'éternité que la vie nous réserve et qui surviennent à l'improviste. Ce sont des plaisirs absolus, détachables de l'expérience du monde dans laquelle ils sont apparus. Ils sont dus au hasard. Ce sont des plaisirs premiers, de fait ou au moins de droit, reconnaissables à ce halo de fraîcheur si particulier qui les caractérise : ils valent dans notre vie comme de purs événements. [...]
[...] Le plaisir est ce par quoi nous collaborons à ce qui nous arrive en bien comme en mal. Le sadique trouve à la fois du plaisir et du déplaisir en agressant autrui, puisqu'il s'identifie à sa victime ; le masochiste éprouve aussi du plaisir, selon le même mécanisme, mais de manière symétrique : il s'identifie à son bourreau. Freud, après avoir postulé que l'enfant était sadique avant d'être masochiste, avait fini par renverser son point de vue, ce qui est troublant. [...]
[...] Notre conscience est donc à distance d'elle-même, ce qui nous procure incessamment à la fois du plaisir et du déplaisir. Même au cours d'une promenade agréable, et justement parce que je me détendrai à cette occasion plus qu'à l'accoutumé, il m'arrivera souvent tout à la fois involontairement et volontairement de repenser à une personne qui m'aura nui ou à une situation pénible dans laquelle je me serai préalablement trouvé, ce qui entachera mon plaisir du moment. D'une manière générale, ce sont davantage les mauvais souvenirs que les bons, surtout lorsqu'ils concernent des événements récents de notre vie psychique dont nous n'avons pas encore fait le deuil, qui nous reviennent spontanément à l'esprit. [...]
[...] La pulsion est un manque, une frustration, un désir. Et le plaisir est le retour à l'état zéro de déplaisir, qui est censé, peut-être par illusion rétrospective pour un regard critique, avoir précédé la pulsion. Par exemple, les partenaires sexuels ne rechercheraient pas tant l'orgasme que l'état de délivrance du désir qui succédera à ce même orgasme, pourvu qu'il ait lieu. Freud envisage ainsi deux manières d'annuler un déplaisir : soit en le refusant et en tentant de l'annuler sans l'assouvir : c'est ce que fait le moine ou encore le stoïcien, qui parviennent à détruire dans l'œuf par la seule force de leur volonté, auxiliaire de la raison, le désir sensible, les passions, le pathos, avant qu'il ne soit trop tard, ce qui suppose un rapport coercitif à son propre corps ; soit en l'assouvissant, pour s'en débarrasser et pouvoir un temps au moins passer à autre chose : c'est ce que fait l'homme du commun. [...]
[...] Il serait certes tentant de rien trouver à redire à cette conception, tant elle paraît évidente, une fois qu'on l'a comprise. Mais ne prouve-t-elle pas trop, justement ? II. Effectivement, le plaisir n'est-il qu'une question de dosage ? Il est vrai que nous sommes repus, dans tous les domaines, lorsque nous avons obtenu notre dose, qui vient combler le vide laissé par nos attentes : dose de spectacles, dose de travail, dose de fêtes, dose de sorties, de nourriture bien sûr, dose de sommeil encore, etc. [...]
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