La notion de réalité s'offre dans un nombre considérable d'expressions qui témoignent d'abord de son extraordinaire polyvalence : on parle de la réalité en général, mais aussi de la réalité d'un fait, d'une théorie, d'un rêve, d'une hallucination, pour signifier l'ensemble des choses qui possèdent une existence objective, ainsi que l'être véritable des choses. Une double acception se fait jour : la réalité comme totalité synthétique des différentes réalités; le caractère de ce qui est réel, actuel, donné, par opposition à l'invention, l'illusion, l'apparence, la fiction, le rêve.
Toutefois, si la réalité désigne un type d'existence caractérisé par la permanence, la fiabilité, la limitation, s'imposant et résistant à ceux qui tentent de l'oublier ou de la nier (contrairement à l'apparence qu'on peut justement faire disparaître ou qui disparaît d'elle-même), l'objectivité ne semble pas être le seul attribut de la réalité : une chose peut être réelle pour moi sans pour autant avoir une existence concrète, scientifiquement avérée (la réalité du délire psychotique, par exemple). L'idée de réalité ne se confond pas non plus avec celle de fait, dans la mesure où la première résulte d'une démarche de rectification d'une erreur, par distinction d'avec la croyance, le préjugé ou le raisonnement abstrait. La réalité peut alors jouer le rôle d'une norme sur laquelle la connaissance doit s'étayer, si cette dernière souhaite prétendre à une certaine légitimité (...)
[...] Sans doute ne faut-il pas non plus mettre sur le même plan réalité et monde. C'est notamment ce que montre Kant dans La Critique de la raison pure (Dialectique transcendantale). La confusion entre l'idée de monde et celle de réalité relève d'une illusion transcendantale qui a pour fondement le souci de relier un conditionné à sa condition première. L'idée de monde est "objectivée" comme réalité, c'est-à-dire comme totalité des phénomènes. Kant établit que cette confusion entre le monde et la réalité aboutit à des antinomies qui révèlent, de la part de la raison humaine, la passion immédiate de l'inconditionné, du système, c'est-à-dire finalement du repos. [...]
[...] La réalité apparaît donc d'abord comme cela même qu'on ne saurait réduire, support de toute affirmation et attribution (ce que la métaphysique appelle la substance), rendant possible le discours cohérent (le principe de non contradiction, chez Aristote, par exemple, comme détermination fondamentale de l'être) et l'action maîtrisée (le principe de réalité chez Freud qui permet de définir névrose et psychose comme retrait partiel ou global vis-à-vis de la réalité). Au contraire, l'illusion se manifeste comme croyance ou opinion fausse abusant l'esprit par son caractère séduisant. De même l'apparence signifie-t-elle l'aspect trompeur des choses ou l'aspect extérieur d'une chose, donné dans la représentation. La réalité, ce serait ainsi l'existence réelle et actuelle, par opposition à ce qui est imaginé ou simplement représenté (le rêve, la fiction, l'idéal, la vision, la chimère, etc.). [...]
[...] La connaissance est unification, la raison se définit par la quête de l'inconditionné, c'est-à-dire de l'absolu. Sa fascination pour l'inconditionné n'exprime que son désir naturel de trouver le repos, d'abolir la distance entre le sujet et le monde. Cette idée de réalité, hypostasiée en idée de monde, n'a pas de valeur transcendante ou objective, mais uniquement une valeur régulatrice et organisatrice dans l'interprétation de l'expérience. L'idée dirige les connaissances en un point focal. Cette valeur régulatrice de l'idée de réalité, qui exprime un idéal d'unification du réel, de rationalisation des choses, se retrouve à l'intérieur de tous les champs du savoir et de l'activité humaine. [...]
[...] Ainsi l'éthique spinoziste de la joie et de la béatitude est-elle une philosophie de l'immanence (Ethique, notamment). Le Dieu-réalité n'est plus une personne, un créateur, un juge, un monarque, il n'est que le monde lui-même dans son infinité et son unité, c'est-à-dire la substance entendue comme le tout de la réalité. Nous sommes ici en présence d'un réalisme perspectiviste et objectiviste, où l'attribut est un aspect réel de la substance et la réalité telle que nous la percevons. La réalité est immanente en somme, intérieure à notre monde. [...]
[...] Comme le souligne Clément Rosset dans Le principe de cruauté, dans Le principe de cruauté, l'idée d'une " insuffisance intrinsèque du réel au nom de laquelle la réalité immédiate est dépréciée, et qui fonde justement le postulat dualiste, s'explique par le caractère essentiellement cruel, douloureux, tragique de la réalité : " l'idée de réalité suffisante, privant l'homme de toute possibilité de distance ou de recours par rapport à elle, constitue un risque permanent d'angoisse et d'angoisse intolérable " (op. cit., p 17). [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture