Chacun d'entre nous ne s'est-il pas déjà maintes fois dit et vu entendre, alors que nous nous consumions de désir pour tel ou tel objet : « Voyons, sois donc raisonnable ! tu as les yeux plus gros que le ventre... », nous invitant ainsi à faire la part des choses pour finalement renoncer à ce vers quoi nous aspirions tant ?
Est raisonnable, a priori du moins, celui qui soumet ses pensées, ses actes au contrôle de la raison (à la censure de la raison, devrait-on plutôt dire ?), de cette petite voix qui, enfouie au creux de nous, juge ce qui est « bien » pour nous ou ce qui ne l'est pas... L'être raisonnable semble dès lors en position de maitrise (...)
[...] Toutefois, comprenons bien que le fait d'être raisonnable ne saurait résider dans une éthique de la renonciation. Il peut sembler raisonnable de renoncer à nos désirs, d'entraver cet élan irréfléchi en le soumettant à la raison pour finalement le bannir En effet, le désir est indéfini, infiniment variable et peut nous condamner à la surenchère Le désir, une course sans fin ? C'est cette conception qu'illustre Platon dans le Gorgias en comparant le désir au tonneau des Danaïdes, tonneau jamais plein mais jamais vide l'analogie est saisissante : tout comme le tonneau n'est jamais rempli, le désir n'est jamais satisfait ! [...]
[...] En ce sens, être raisonnable, faire un usage permanent de la raison consisterait à renoncer à nos désirs, vecteurs de déceptions, de souffrance, voire même d'aliénation. Néanmoins, cette thèse n'omet-elle pas justement tout ce qui fait la valeur irremplaçable du désir ? Ce dernier est-il si haïssable, déraisonnable, au point de vouloir y renoncer, serait- il si peu essentiel à l'existence humaine, à l'équilibre humain ? * Etre raisonnable ne semble guère synonyme, à y regarder de plus près, de renoncer à ses désirs N'oublions pas, en effet, que le désir traverse notre existence de part en part. [...]
[...] Ainsi donc, si le désir n'est pas en soi condamnable, la raison a malgré tout son rôle à jouer. En particulier, coupler harmonieusement la raison et le désir ne peut que nous être, sans doute, bénéfique : ainsi pourrions-nous atteindre la joue, affirmation de notre être Raison et désir ne sont donc pas antithétiques ! Bine plus, ils doivent, ils devraient plutôt, s'épanouir simultanément En outre, dès l'Antiquité, les épicuriens et les stoïciens proposaient des doctrines consistant à régler nos désirs respectivement sur la nature et sur la raison. [...]
[...] Si l'animal n'est pas raisonnable, l'homme peut quant à lui prétendre pouvoir exercer sa raison. Cependant, cette faculté, aussi justifiable soit- elle (ne parait-il pas raisonnable d'être raisonnable doit être exercée avec mesure et ne pas contredire notre nature Ainsi donc, la raison est impuissante à gouverner notre nature. Condamner le désir n'est dès lors pas possible (et qui plus est, pas raisonnable : cela reviendrait tout bonnement à nier notre nature. L'homme étant de fait un être de désir, le pouvoir de la raison trouvant ici une de ses limites, alors tout au plus cette dernière peut-elle (avec plus ou moins de bonheur, certes tenter de les apprivoiser. [...]
[...] Peut-on vivre, exister même, sans désirs, sans céder à ce que nous imaginons source de satisfaction possible, sous prétexte d'être raisonnable ? Est-ce le propre de la raison que d'exclure le désir ? Ne serait-ce pas là omettre ce qui constitue la nature de l'homme, ne serait-ce pas fermer les yeux sur le pouvoir du désir ? Etre raisonnable, est-ce renoncer à ses désirs ? Nous verrons d'abord en quoi faire un trait sur ses désirs peut a priori relever d'une attitude raisonnable. [...]
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