On ne peut mentir que si on sait la vérité, et alors la dissimuler ou n'en
donner qu'une version partielle ou erronée. Le mensonge est donc un double
rapport : rapport au vrai, il est aussi rapport à l'autre. Ainsi il est intentionnel,
c'est-à-dire qu'il révèle une finalité (...)
[...] Qu'est-ce que je sais qui soit vrai ? Ne suis-je pas tout le temps dans le mensonge, surtout quand je crois savoir quelque chose de vrai ? Se mentir à soimême, c'est peut-être d'abord croire qu'il y a de la vérité. Ainsi, quand je vis dans l'illusion, je suis davantage dans le vrai et quand je crois savoir la vérité, parce que au moins je reconnais que je ne peux rien savoir de certain. Vivre dans l'illusion n'est alors pas un mensonge à soi, mais bien au contraire un état de lucidité : il n'y a rien de vrai que je puisse connaître ou qui me soit utile ou agréable. [...]
[...] Et si je voulais cesser de me mentir, à quelle vérité parviendrais-je ? La structure de la conscience, qui introduit dans le sujet la séparation, permet cette division entre le sujet qui sait la vérité, et celui qui se projette, se choisit, se met en situation. Au-delà de tout contenu de conscience, je suis libre et le demeure. Je peux ainsi parce que je ne colle pas à la vérité que je possède toujours choisir et me déterminer contre, ou différemment, de ce que je sais. [...]
[...] Puis-je alors me mentir à moi-même ? Puis-je être à la fois celui qui sait la vérité et se la dissimule ? La contradiction semble presque conduire à une absurdité. Pourtant, je fais l'expérience de ce mensonge quotidiennement, comme si j'étai double, comme si je me laissais volontiers tromper en toute connaissance de causes. D'où vient que cela est possible ? Est-ce dû à une structure psychologique ou simplement à l'absence d'exigence, dans ma vie quotidienne, de la vérité ? [...]
[...] Du même coup, c'est la valeur même du mensonge qui décline (Oscar Wilde, Le déclin du mensonge), étant davantage une puissance de libération et de vie (une vérité plus vraie encore que celle du réel), qu'une lacune ou une impuissance, voire un vice. La seule réalité est celle de l'art et de l'invention. La vérité n'est pas dans les choses, mais dans le discours qu'on produit librement : le romancier est alors celui qui dit la vérité. La vérité comme réalité est dans les œuvres d'art. [...]
[...] Contre la liberté et pour une servitude volontaire ? Simplement parce que la liberté est insoutenable. La question est alors de savoir si je peux vivre sans me mentir à moi-même, si je peux surmonter l'angoisse d'être ainsi toujours jeté en avant de moi-même dans et par la liberté. Contre le mensonge à soi-même, l'action et l'engagement qui doivent nous sauver du vide tout en le maintenant comme la possibilité même de s'engager. Si on ne peut pas demeurer dans le vide, on ne peut pas non plus le supprimer et devenir un être plein ou naturel. [...]
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