Ainsi l'irrationnel désigne-t-il, en un premier temps, ce qui est étranger ou contraire à la raison, si l'on entend par raison à la fois une faculté, un procédé, un idéal caractérisés par le jugement critique et cohérent, ainsi que le sens de l'universel et du dialogue. Les figures classiques de l'irrationnel sont alors le préjugé ou l'opinion, tout le domaine de l'affectivité (passions, sentiments, émotions, croyances, imaginaire, inconscient, rêves) ou de l'occulte (l'astrologie, le spiritisme, la magie, la cartomancie, etc.), mais aussi des expériences ...
[...] L'irrationnel incarne-t-il le contraire du rationnel, sa négation monstrueuse ? En cette altérité la raison s'abîme-t-elle ou, tel Antée, ne vient-elle pas comme se ressourcer ? Ce qui se donne spontanément à voir, lorsqu'est évoquée la figure de l'irrationnel, c'est la négation qui lui confère d'emblée une carence ontologique : tandis que la raison s'exprime sur le mode du plein et de l'idéal, l'irrationnel manifeste ce qui semble dépourvu de raison ou qui circonscrit une territorialité où la raison, en sa prétention majestueuse, n'intervient pas de facto, quand bien même cette absence avérée ne saurait être étendue en droit. [...]
[...] Mais nous n'avons envisagé jusqu'à présent la question de l'irrationnel que sur un plan proprement théorique, en négligeant son aspect pratique. En effet, il convient de ne pas confondre raisonnable et rationnel, déraisonnable et irrationnel, de même que le non rationnel ne recoupe pas nécessairement l'irrationnel. Qu'est-ce à dire, sinon que le raisonnable concerne l'ordre de l'action ou du comportement, tandis que le rationnel renvoie à la sphère de la connaissance ou du jugement. Ainsi parle-t-on d'un raisonnement irrationnel, pour signifier par là son incohérence, son inadéquation aux normes logiques (principes d'identité, de non contradiction, de tiers-exclu) ; un comportement doit plutôt être qualifié de déraisonnable (même si l'adjectif irrationnel est souvent utilisé de façon impropre à la place de celui d'irrationnel), si l'on veut exprimer l'intempérance, l'imprudence, l'inconscience, savoir l'action non maîtrisée, porteuse de violence et de déraison. [...]
[...] Certes, le monde occidental est de plus en plus désacralisé mais les hommes continuent à penser et à se comporter, souvent à leur insu, de façon magique et superstitieuse. Les mythologies modernes sont constituées par un ensemble de superstitions, de tabous, de rites qui expriment les détresses et anxiétés collectives. La faiblesse de l'esprit critique, le manque de culture, les malaises, les grandes solitudes de nos cités modernes créent un désir de croire à tout prix, bien proche de la crédulité. [...]
[...] De sorte que la chose en soi, c'est-à-dire ici l'irrationnel ontologique, n'est pas une autre chose : elle désigne un autre point de vue sur la chose, celui d'un entendement parfait et non pas fini. L'irrationnel, en sa qualité de noumène, est à la fois ce qui est inconnaissable et irreprésentable. En même temps, si le noumène est ce que nous ne pouvons connaître, il est aussi ce qui nous empêche de nous contenter de l'expérience sensible et nous pousse à viser une intelligibilité parfaite des objets. [...]
[...] Double dimension ontologique et épistémologique de l'irrationnel qui renvoie à l'éternel hiatus entre la conscience et le monde, au principe des grandes métaphysiques. La foi, l'expérience mystique, la magie, le mythe, la vie affective, tout cela entre dans la catégorie de l'irrationnel, soit parce que ces différentes réalités ressortissent à un ordre transcendant, absolu, inconnaissable (le noumène kantien, par exemple, le monde invisible du sorcier), soit parce qu'elles n'ont tout simplement pas de signification au regard des critères d'appréciation de la raison ou de ses moyens d'investigation. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture