La question de l'existence éventuelle de ces critères pose avec elle le sens de ce qu'on peut entendre par supérieur et inférieur quand il s'agit de comparer, non des quantités ni des choses comparables quantitativement, mais des hommes (...)
[...] Ainsi un tempérament robuste ou délicat, la force ou la faiblesse qui en dépendent, viennent souvent plus de la manière dure et efféminée dont on a été élevé que de la constitution primitive des corps nous dit Rousseau dans le Discours sur l'origine des Inégalités, 1ère Partie. Mais peut-être alors est-il possible de se fonder sur des critères culturels ou des critères de civilisation pour distinguer entre les hommes. Peut-être n'est-il pas interdit de penser que certains peuples sont plus civilisés que d'autres, que certains s'enlisent dans la barbarie, ou restent à l'état sauvage quand d'autres progressent. Mais quels sont ces critères de civilisation? Ont-ils une valeur universelle? [...]
[...] Tous ces critères, y compris ceux qu'on prétend fonder sur la nature comme la race, n'ont qu'une valeur relative, relative aux préjugés d'une communauté culturelle; et ces préjugés viennent de la tendance de toute communauté à se croire représentative de l'humanité entière, voire de ses valeurs universelles. Mais ces constatations me retirent certes le droit de juger un peuple supérieur à un autre peuple; mais m'interdisent-elles de juger un homme supérieur à un autre homme? En apparence un homme peut donc être supérieur à un autre homme: Je peux donc juger en apparence qu'un homme est supérieur à un autre homme, sans tenir compte nécessairement de son appartenance culturelle, et a fortiori de sa race ou de ses traits de naissance. [...]
[...] Il est clair que je peux déterminer la supériorité d'une quantité par rapport à une autre. Huit est ainsi supérieur à quatre, l'énergie dont on a besoin pour soulever une fusée hors du champ d'attraction terrestre doit être supérieure à celle dont on a besoin pour porter à grande vitesse un train de milliers de tonnes. Dire d'un homme qu'il est supérieur à un autre homme, soit je peux le dire quant à la taille, à la capacité musculaire, visuelle, auditive, c'est à dire à propos de paramètres tout à fait déterminés. [...]
[...] Dès lors qu'il a inventé la civilisation, l'homme est sorti du règne de l'animalité et de la naturalité. On ne peut donc pas juger de la supériorité d'un homme sur un autre homme quand il est réduit au rang d'animal. L'homme naît homo sapiens, il devient un homme; il le devient par l'éducation qu'il reçoit dans une société déterminée; et l'humanité se construit à travers l'histoire. L'humanité n'existe que dans, et par la civilisation, qui constitue une multiplicité de cultures. [...]
[...] C'est pourquoi on peut saluer la sagesse de certains hommes qui peuvent alors apparaître comme des modèles de l'humanité. Que je puisse juger un homme comme étant supérieur à un autre homme dans un domaine déterminé, aussi prestigieux soit-il, domaine intellectuel, artistique ou aussi sportif, cela ne m'autorise nullement à le juger dans l'absolu comme supérieur à un autre homme. Il est cependant un domaine qui ne constitue pas une particularité parmi d'autres, mais qui fait la valeur essentielle de l'homme, cela même qui fait précisément ce qu'on appelle son humanité, l'humanité impliquant la bienveillance à l'égard de tout autre homme, une forme de sagesse loin de toute exaltation de la puissance et de la richesse. [...]
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