De sorte que, s'il a le pouvoir de s'imposer dans les instances internationales qu'il contrôle, ce dernier doit souvent faire face à la contestation de minorités qui, en refusant d'adhérer à ses valeurs portent, sur le plan idéologique du moins, un sérieux préjudice à sa prédominance: les droits de l'homme constituent-ils, en somme, une évidence ou un problème ? Le principe moral régisseur de nos sociétés modernes, et qui aspire à prendre en charge la "grande famille de l'humanité" trouve-t-il sa légitimité dans la nature, s'imposant par là à l'esprit en certitude absolue, ou définissant au contraire une difficulté d'ordre spéculatif, prête-t-il à discussion ?
[...] Cette distinction soulignée entre l'homme et le citoyen, essentielle à notre problème, mérite éclaircissement: au sens juridique, elle recoupe les notions de droit naturel et de droit positif. Ce dernier institutionnalise la légalité, il définit, par le biais d'une Constitution, l'Etat dans sa spécificité et unit les citoyens autour d'un système de valeurs communes; le droit naturel au contraire, qui résulte de la nature des hommes et de leurs rapports indépendamment de toute législation, opère une subjectivisation de la pensée juridique, au détriment de la nature, jadis la seule référence, et au profit cette fois de la raison. [...]
[...] S'inscrivant dans l'ordre moral, la tolérance est tout entière ancrée dans l'exigence éthique du respect de la personne humaine, elle se veut, avec les droits de l'homme, du côté de la raison et de l'universalité. Droits de l'homme et tolérance n'entrent plus alors en contradiction, les premiers ne visant qu'à institutionnaliser les principes de la seconde. Là encore, et pour revenir sur les termes de notre sujet, la tolérance n'est nullement, loin s'en faut, chose évidente; mais c'est une valeur morale universellement reconnue, un défi posé à l'humanité et un idéal vers lequel elle doit tendre. [...]
[...] Il appert à présent que le problème posé par notre sujet est bien réel, tant au niveau de la portée des droits de l'homme que de leur contenu. La question qui exige que l'on choisisse entre l'évidence et le problème nous invite à réfléchir à la fois sur qui peut prétendre bénéficier des droits de l'homme et sur la signification de ceux-ci, d'une complexité sans cesse croissante. Car la loi n'est jamais chose évidente: en témoigne les débats interminables au sujet de la peine de mort, en vigueur dans les nations qui se réclament pourtant le plus fervemment des droits de l'homme; la France jusqu'en 1981, et les Etats-Unis en partie encore aujourd'hui! [...]
[...] Notre nature d'êtres moraux, pour peu que nous en ayons une, se révolte à cette idée: d'où la nécessité peut-être de déplacer notre problème pour nous interroger, non plus sur l'origine des droits de l'homme, mais bien plutôt sur leur finalité. La légitimité n'est plus de nature, elle puise sa source dans l'exigence morale. La difficulté sur laquelle nous avons buté jusqu'ici semble être liée à une interprétation trop peu nuancée de la question initiale: eussent les droits de l'homme été une évidence, ils n'eussent pas à présent fait l'objet d'un débat aussi épicé d'avis contradictoires. [...]
[...] "Si la loi de la nature nous oblige à une fin, argue C. Wolff, elle donne aussi le droit aux moyens". Ainsi compris comme la condition de possibilité de l'obéissance à l'obligation morale commune à tout être humain, les droits de l'homme sont uniques, trouvant leur raison suffisante dans l'essence et la nature même de l'homme. Voilà donc la thèse de Montaigne qui, exaltant dans ses Essais le mythe du bon sauvage, avait tranché que "la nature ne [créait] que des différences, pas des inégalités" justifiée par la froide rationalité scientifique du siècle des Lumières. [...]
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