La ressemblance et la conformité confèrent aux individus un sentiment rassurant de force et d'unité. En tant que membres conscients d'une communauté plus largement étendue, ils se sentent bénéficiaires d'une sécurité confortable et tendent à bâtir des rapports de solidarité et d'amitié, à la manière d'une "grande famille". En abolissant tout rapport hostile et ennemi, chaque individu se sent le "frère" de l'autre, engagé dans un lien fraternel permanent. Il s'agit en effet de l'action de fraterniser. Ce sentiment fraternel, ou le processus qui vise à l'établir (fraternisation), engagent donc inévitablement un rapport égalitaire à l'autre ; une connexion, un lien spontané de l'individu à la masse. La fraternité serait alors ce lien équitable qui lie les différents membres du compromis. En tant que principe idéal de tout système de gouvernement, il semble évident de retrouver ce terme dans un contexte politique (...)
[...] L'aspect contraignant de la fraternité consiste donc à perpétrer le lien pacifique et amical avec autrui pour en percevoir le retour de sécurité et de justice. C'est pourquoi cette implication dans la masse représente une entrave à l'expression individuelle. L'individu se doit toujours plus ou moins conforme et plus ou moins adéquat. Il est donc évident que le statut de compromis de la fraternité impose certaines obligations à l'individu, qui se voit privé d'une part de liberté dans ses choix et actions. [...]
[...] La fraternité n'est pas le principe politique même mais ce qui permet son articulation entre individu et groupe. L'instance politique pose des principes de justice en répondant aux exigences des individus, et le sentiment fraternel permet d'en mesurer l'intérêt de ces règles pour le groupe ainsi que pour lui-même. La fraternité peut trouver une certaine équivalence dans la pudeur du mythe de Prométhée, dans lequel Zeus fait porter aux hommes disparates et vulnérables la justice et la pudeur pour les sauver de l'extinction. [...]
[...] La fraternité n'est donc pas elle-même politique. Son fonctionnement spontané et naturel n'est pas réglable en tant que tel mais est cependant inspirant car il représente l'idéal politique : une justice vécue comme une évidence, vis-à-vis de laquelle toute défaillance est sanctionnée moralement comme dérèglement du lien entre l'individu et la communauté. Ce n'est pas elle-même qui peut être régie par des lois mais certains des éléments qui la composent, alors qu'elle sera la condition pour le respect de ces règles dont l'utilité morale est ressentie en profondeur par le biais du relationnel et du sensible. [...]
[...] Cependant la fraternité ne se borne pas à un état relationnel inhibiteur pour les individus, au quel cas elle ne pourrait pas maintenir les êtres dans la justice et le pacifisme. Si le système politique tend à l'améliorer, c'est qu'il l'a prend pour modèle de départ. Or un individu soumis n'est pas pris pour principe de base ; il y a donc une autre dimension à la fraternité, recherchée dans l'accomplissement politique. Si l'individu tisse au départ des liens amicaux et pacifiques avec l'autre, cela ne peut être du à une expérience hasardeuse. [...]
[...] La fraternité se pense dès lors comme principe d'égalité et de justice en tant que ses valeurs participent de ce qu'elle est. Parallèlement, l'individu dispose du choix de ses groupes les plus étroits. S'il appartient évidemment au genre humain ou à sa nation, celui-ci choisit néanmoins de fraterniser, d'établir le lien fraternel plus chaud librement. En effet, en s'écoutant soi-même et respectant ses élans affectifs, il est possible de sortir des codes de relations fraternelles évidentes. C'est-à- dire qu'un individu n'est pas contraint par ses prédéterminations physiques, ethniques, générationnelles à forcir le lien avec une catégorie déterminée. [...]
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