Philosophie de l'environnement, acte de manger, production agricole, besoins physiologiques, ascétisme, régulation homéostatique, aliénation du corps, souffrance animale, surproduction, progrès technique
Manger est un geste incorporé et qu'on veut hors du champ de la responsabilité. Quand on mange, on n'a pas envie de se prendre le chou. Pourtant s'invitent à notre table de nombreux enjeux : éthiques, économiques, environnementaux. Manger ne signifie pas uniquement subvenir à ses besoins, c'est tonaliser intimement une relation avec le monde par ce que l'on incorpore, qu'on le veuille ou non. Que signifie manger pour des êtres doués d'une grande sensibilité, qui ont pour eux la vulnérabilité, ce pouvoir de l'impouvoir ? Quel type de production de subsistances avons-nous envie de faire subsister ? Quel type d'interaction s'y découvre entre mes vivres, mes congénères, mes convives ; entre ma personne et mon environnement ?
Un aspect de la crise écologique est la crise de l'alimentation. Le monde occidental s'est donné une norme de l'énormité et l'excès de consommation d'aliments est symptomatique d'une nouvelle forme d'expression de l'homme à l'égard de son environnement.
[...] L'enveloppe de notre incarnation est donc vue ici d'un mauvais œil. Sous un autre angle, on pourrait dire qu'étant donné que les nourritures terrestres constituent notre corps et que notre corps est ontologiquement premier, ou plus principiel que l'âme, notre philosophie peut se deviner à ce qui se trouve dans notre assiette Dès lors, de manière plutôt nietzschéenne, on pourrait affirmer toute philosophie comme confession d'un corps, autobiographie d'une chair. Quoi qu'il en soit, faire attention à ce que l'on mange c'est ne pas renoncer à avoir une certaine emprise sur la constitution de son corps, corps qui est l'expression de l'âme qui en est l'expressivité, corps qui est comme l'indice du type d'existant que je peux être. [...]
[...] Prendre un repas ce n'est pas simplement se rassasier. Sont de plus en plus marginaux les consommateurs qui prêtent attention non pas seulement à la composition élémentaire de ce qu'ils mangent (valeurs recommandées par l'industrie alimentaire et affichée en quantité de tel ou tel nutriment procuré par tel ou tel produit), mais aussi à l'aspect substantifique de la nourriture, à sa densité symbolique. Du reste, les repas correspondent à des points cardinaux qui scandent nos journées et en établissent le rythme : grignoter en regardant une émission, pignocher des petits fours lors d'une réception ou manger un sandwich au volant de sa voiture ne constitue pas un repas alors que ce sont des actes qui apaisent la faim et participent au maintien de la vie, biologiquement parlant. [...]
[...] L'expérience gustative est une occasion de recueillement avec la chair du monde. La dégustation n'est pas la dévoration, donner une signification consistante à ce que je mastique c'est une manière d'être-le-là de la tradition phénoménologique Rapport respectueux possible envers la nourriture qui nous régénère. Platon, dans le Timée, distingue deux façons d'appréhender l'espace : le topos, l'espace que l'on traverse pour se rendre d'un point A à un point B ou la chòra qui met l'accent sur l'ouverture de la présence au monde. [...]
[...] c'est donner un autre ton à notre appartenance au monde et bouleverser cette expérience charnelle involontaire qui la caractérise . Une certaine interprétation de la doctrine chrétienne nous dit que la chair confère à la vie sa condition immorale, les choses sensibles du monde me divertissent par l'intermédiaire de mon corps, nous sollicitent et nous font perdre de vue notre destination définitive. L'individualisation de l'âme dans le corps est perçue comme une déchéance. Retrouver la pureté d'avant la Faute passerait par l'effort de destitution de ses affects. Le corps perturbe la recherche de la quiétude. [...]
[...] Autour de l'aliment se pose la question du devenir relationnel de ce que l'on mange autant que celle d'un plaisir constitutif. « La séparation entre les arts mineurs, parmi lesquels nous rangeons d'ordinaire la cuisine, et les beaux-arts n'est plus pertinents une fois que nous avons compris ce qu'est le goût : renvoyant à nos sensations et convoquant tous nos sens dans leur totalité, c'est en lui que s'opère le passage du physiologique au mental, du biologique au social, du besoin égoïste de se conserver à la convivialité, voire à l'Éros. [...]
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