« J'ai compris alors, à force de fouiller dans ma mémoire que la modestie m'aidait à briller, l'humilité à vaincre et la vertu à opprimer ». Cette parole que Jean-Baptiste confesse dans la Chute de Camus, c'est l'aveu d'un savant calcul dans tous ses actes afin d'accéder à ses désirs. Ainsi Clamence est bien celui qui, étrangement peut-être, préfère donner plutôt que de recevoir. Mieux vient du latin melius qui signifie ce qui est bien, utile au sens de ce qui est avantageux, et valere signifie aussi « être très puissant, le plus puissant ». Par conséquent, si donner semble paraître plus avantageux, la dette signifie-t-elle alors une aliénation de l'individu, qui du coup n'est plus un sujet qui échange mais qu'un sujet passif dans l'échange ? Donner étant pris ici comme le geste, délibérément unilatéral qui dote autrui d'un bien, jadis propriété du sujet donateur. Cependant melius est aussi ce qui est bien, meilleur. Est-il alors possible de penser un acte de don qui soit totalement moral, accompli dans un désintéressement absolu, dans le seul but d'aider son prochain, donc sans volonté réelle d'un retour ? Enfin si l'acte de donner peut relever d'un impératif moral, montrant ainsi que l'individu peut dépasser sa condition bassement égoïste pour se projeter vers l'autre, donner plus que recevoir ne risque-t-il pas aussi de créer un déséquilibre dans l'échange ?
Si donner est un moyen de dominer l'autre, la dette étant un rappel de la soumission, savoir donner plutôt que recevoir peut aussi être ce moment où l'individu s'abandonne pour devenir ce pour quoi il a été créé, une créature magnanime à l'image du ...
[...] Le don intéressé de Clamence est donc un simulacre de générosité. En lui, l'apparence fait toujours violence à la vérité. Cependant même s'il existe cette hétérogénéité entre son geste et son intention, fort peu morale, n'a-t-il pas aussi permis le tissement de liens sociaux ? Clamence agit toujours en vue de faire de l'autre un spectateur de son théâtre d'ombre, il attend d'incessants applaudissements mais cet égoïsme l'amène aussi à prendre en compte, avec excès, l'opinion d'autrui. En somme il devient conditionné par la reconnaissance. [...]
[...] S'il aide l'aveugle à traverser la rue, c'est parce qu'il espère de ce dernier une reconnaissance perpétuelle, éternelle. Clamence aime donc mieux donner mais ce don n'a que l'apparence d'un don car son unique intention n'est que de satisfaire son désir d'être puissant. S'il secoure cet être qui s'égare, ce n'est donc non pas en pensant à son prochain mais parce qu'il jubile de SE voir le faire. J'avais besoin d'être au dessus [ ] bien au dessus des fourmis humaines confessait-il p.29. Ainsi les civilités de Clamence se confinent dans la superficialité. [...]
[...] Il préfère donner car il sait que ses sujets, moins fortunés, ne peuvent se poser qu'en demandeur, et rarement en donateur. A l'acte scène1, Timon déclare au Vieillard que ce gentilhomme m'a servi longtemps, pour fonder sa fortune je veux faire un petit sacrifice car c'est un devoir d'humanité et il rajoute que c'est parce que l'Homme le doit à l'Homme Il préfère donner, certes, mais en donnant il reçoit aussi le plaisir d'aider, il garde le souvenir d'un sourire, du bonheur de l'Instant. [...]
[...] C'est dans ce sens que MAUSS rappelait dans Essai sur le don que la conservation de la chose donnée est dangereuse car elle est prise religieuse sur celui qui reçoit. Cette femme devient donc la preuve ambulante que Clamence est un homme bon, digne d'être respecté et adulé, en somme il devient un surhomme, mais dans ce théâtre où chacun porte un masque étincelant, le masque du paraître social. La dette étant un poids trop lourd à assumer, Clamence préfère donc toujours donner plutôt que recevoir pour ne jamais subir, être lié. [...]
[...] Donner plutôt que recevoir permet alors d'assurer des liens de Communauté. Si le geste de donner peut se décaler de l'intention et relever d'une stratégie, il est néanmoins un signe fait à l'autre. Il y a alors reconnaissance réciproque de deux existences, même si l'une peut nier la liberté de l'autre. Et s'il y a cette volonté de dominer, de surpasser l'autre, il y a donc aussi à l'origine le sentiment que l'autre est un égal. Il existe alors un rapport minimum de respect. [...]
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