La plupart des philosophes nous invitent à considérer que seul le présent est, contrairement au futur qui n'est pas encore ou au passé qui n'est plus. S'il est donc déraisonnable de s'épuiser en projets pour un avenir dont nous ne pouvons tout à fait savoir ce qu'il nous réserve, il semble plus vain encore d'errer dans ses souvenirs à la recherche d'un temps perdu pour toujours. Le passé souvent hante nos consciences, pèse sur nos choix ou notre vision du monde.
On en vient alors à se demander s'il faut rompre avec le passé.
Cette interrogation en nous montrant le nécessité de rompre avec le passé, nous en donne une vision péjorative, néfaste. Le passé est-il pesant par nature ?
Si l'on répond par l'affirmative, alors ce poids devient une véritable question philosophique lorsqu'on s'interroge sur la possibilité de l'effacer ou de l'assumer. Faut-il cultiver la mémoire du passé ou l'oublier ?
[...] Ne pas avoir de passé, à supposer que cela soit possible, c'est être "rivé au piquet de l'instant" (Nietzsche). C'est ne pas voir que le présent est toujours le résultat du passé, c'est donc rendre impossible toute action suivie et raisonnée. En bref, l'homme sans passé, l'homme sans histoire n'est pas libre parce qu'il ne peut pas agir au sens fort de ce terme. Pour le dire autrement, la liberté ne peut devenir effective que dans la mesure où elle s'inscrit dans l'histoire, se projette dans l'action et obtient, sous cette forme, sa véritable signification. [...]
[...] A la figure de l'immémorial s'oppose celle du mémorable : un événement ponctuel marque la mémoire et fait date la notion de poids du passé acquiert avec le mémorable une certaine ambivalence : pour sortir de l'oubli spontané, le passé doit acquérir une certaine gravité, mais ce poids n'est pas nécessairement pénible et peut même être source de fierté. Ainsi l'événement mémorable est créateur d'histoire car il modélise et oriente l'existence des générations ultérieures. Le mémorable constitue un héritage. C'est en ce sens que toute mémoire donne un poids au passé. Nous sentons ainsi parfois le devoir de vivre à la place de ceux qui ne sont plus là pour le faire eux-même. La commémoration nous rappelle que nos actes présents sont conditionnés. [...]
[...] Nous avons envisagé antérieurement le passé comme un poids, comme un obstacle à la liberté. Ainsi, un homme sans passé est un homme d'autant plus libre que les expériences passées ne pèsent pas sur lui. Cela lui donne une virginité face au présent, il n'est pas influencé par ses échecs ou ses succès antérieurs. Le passé ne lui pèse pas, c'est même en cela que, pour l'homme sans passé, on peut dire qu'il n'y a pas d'autre vérité que celle du présent, d'autre sens assignable à son existence que d'être immanente au présent. [...]
[...] Tout regard lui semble soupçonneux et accusateur. Alors que son geste est dû à l'ambition de se placer au-dessus des lois pour décider souverainement de sa liberté, il se retrouve enfermé dans la conscience de l'acte passé qui semble oblitérer tout projet d'avenir. La torture des remords exprime donc mon impuissance à l'égard du passé : j'ai fait un choix jadis, librement, me semble-t-il : j'aurais eu la possibilité d'agir autrement. Mais aujourd'hui je n'y puis rien, ce qui est fait est fait. [...]
[...] Comme le mariage qui doit être le plus beaux jour de notre vie. On donne volontairement à cette journée un poids pour l'avenir en espérant que cela motivera la fidélité à l'événement mémorable : on hésitera davantage à renier l'engagement, à bafouer cet événement si pompeux et auquel on a donné une visibilité sociale toute particulière. Le passé prend alors une exigence de cohérence. Une dernière dimension du passé retiendra notre attention : c'est dans l'expérience de l'irréversible que la notion de poids du passé prend tout son sens. [...]
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