L'art au sens moderne du terme semble être d'un autre ordre que la connaissance. Nous entendons en effet ordinairement, par art, l'activité réglée visant à produire une oeuvre belle. Or, la connaissance est soit une activité intellectuelle (le mot vient du latin cognoscere, qui signifie apprendre à connaître, être à la recherche de la vérité plutôt que de la détenir), soit le résultat de cette activité, à savoir la capacité à construire un discours reposant sur des preuves. Certes, l'art et la connaissance, conçus comme activité, visent à produire une oeuvre, destinée à être communiquée, voire si elle est jugée de qualité, publiée, et emploient des supports susceptibles de la faire partager. Mais ce qui diffère est le but poursuivi : l'art, pourrions-nous dire tout d'abord, vise le beau, et la connaissance, le vrai. L'art cherche donc à procurer par l'intermédiaire des sens, un plaisir, il ne consiste pas à prouver un discours. Aussi l'art peut-il se passer du langage, devenir art plastique ou musical. Sans doute l'art suppose des connaissances, ou il les permet. On a beau jeu de dire sur ce dernier point, que la connaissance que nous pouvons prendre des peuples du passé et de leur civilisation repose pour une bonne part sur les oeuvres d'art qui en sont les vestiges et les témoins. Pourtant, cela ne fait pas de l'art une connaissance, donc peut-être une autre forme d'activité. Or, le sujet établit entre l'art et la connaissance une relation d'identité, ou plus précisément, une relation d'espèce à genre. Il s'agit de déterminer si l'art est une catégorie particulière, c'est-à-dire un sous-ensemble de la connaissance, si la connaissance entre dans sa définition au titre du genre.
On pourrait contester la thèse précédente en invoquant la nécessité d'un apprentissage de l'art. On ne naît pas artiste, car les premiers dessins que l'on fait, par exemple, sont de simple gribouillages sans technique, sans souci de la composition et ne peuvent prétendre au statut d'oeuvre d'art. Aussi le plaisir pris à dessiner ne suffit pas, il faut se familiariser avec des outils, avec leurs techniques de maniement, confronter son travail à celui d'autrui. Mais ce n'est pas seulement ce savoir-faire acquis par l'exercice de l'art qui fait défaut le plus souvent dans les travaux d'enfant, il manque encore la maturité et l'expérience nécessaire pour traiter un sujet digne d'intérêt pour autrui. L'art rend ainsi possible une réflexion libre, non contrainte par des propositions, sur ce qu'il montre et la façon dont il le montre. Ainsi, l'art ne se réduit pas à la fabrication d'une oeuvre, car cette oeuvre renvoie à autre chose qu'elle-même, qu'elle nous rend présente, qu'elle nous représente et nous incite à penser. Il y aurait donc en l'art une recherche qui lui serait essentielle, tant de ses moyens et de ses formes que de son objet, par laquelle l'artiste nous révèlerait à sa manière par son cheminement quelque chose de la condition humaine. L'art serait alors une forme de connaissance particulière, qui nous donnerait, non le concept mais ce que nous pourrions nommer l'intuition des choses, sans passer par le langage. Il mettrait alors en évidence le défaut de la connaissance conceptuelle, ce qu'elle ne parvient pas à penser par le détour du langage, en constituant une connaissance paradoxale, sans pensée. Aussi, pourrions-nous nous interroger sur sa consistance : que vaudrait une connaissance intuitive, sans concept, à laquelle prétendrait l'art ? L'art peut-il avoir pour but la vérité plutôt que la beauté ? (...)
[...] Par un oubli des différences, nous désignons par le même nom des choses semblables en faisant comme si elles étaient identiques parce qu'elles présentent un certain nombre de traits en communs. Ainsi se forme un concept. Or, la connaissance peut porter soit sur une chose singulière, auxquelles on attribue des propriétés à l'aide de noms communs, ou concepts soit sur des catégories, des ensembles d'objets désignés par des concepts; auxquels nous attribuons des propriétés en les rapportant à d'autres concepts. [...]
[...] C'est donc la notion d'art elle-même qui disparaît si on tend à en faire une forme de connaissance et à lui assigner la vérité comme but. Hegel ne reconnaît-il pas lui-même que l'art est loin d'être le mode d'expression le plus élevé de la vérité (Introduction à l'esthétique, chapitre 1ère section, fin du paragraphe parce qu'il opère sur une matière sensible qui se prête mal à l'expression de la connaissance. Il la stimule, il en donne l'intuition, mais il ne fait que précéder la connaissance qui s'opère grâce à lui dans d'autres domaines. [...]
[...] Conclusion : Nous pouvons donc conclure que l'art n'est pas à proprement dit, une connaissance mais qu'il est une activité qui fait intervenir l'intellect dans un autre but, ludique, que dans la recherche de la vérité, parce qu'il ne cherche pas tant à saisir la nature des choses qu'à nous faire éprouver un plaisir rechercher, un ordre ou un sens caché (mais en même temps sans pouvoir en rendre compte en totalité), dans la contemplation des formes. Cette intuition de la vérité dont nous parlions dans l'expérience de l'œuvre n'est qu'un autre nom pour ce jeu de l'imagination et de l'entendement, qui tout à la fois, stimule connaissance et la déjoue. [...]
[...] Il n'est pas dicté par la satisfaction d'un désir ou de la raison. Pourtant, si nous jugeons belle une chose, nous nous attendons, si nous supposons que nous en jugeons avec goût, à ce que d'autres amateurs éclairés feront de même. Comment cela est-il possible si nous jugeons de la beauté, comme il a été dit plus haut, sans concept ni règle ? C'est, écrit Kant, parce qu'elle stimule des facultés qui sont en jeu dans la connaissance et que nous pouvons supposer en tout homme. [...]
[...] L'art est donc essentiellement méthode, ensemble ordonné de règles visant à atteindre un but. Aussi n'est- on pas étonné de trouver dans les exemples employés par Cicéron, à côté de la statue et du tableau, le cadran solaire et l'horloge à eau, et même la sphère fabriquée par le savant astronome Posidonius pour représenter les révolutions du soleil et des planètes. Tout art est donc activité régie par la connaissance de certains procédés, remise en cause par la pratique, il est donc une activité de la raison, connaissance. [...]
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