Le désir est-il réductible à l'état de besoin dont il serait la manifestation ou n'est-il pas au contraire ce qui engendre l'état de besoin lui-même ? A moins toutefois qu'il ne soit pas d'une autre nature que le besoin (...)
[...] Nous ne désirerions donc que ce dont nous avons besoin. Seulement, cette thèse admet certaines réserves : puisque l'état de besoin peut être relatif à n'importe quelle fin, alors que le désir est lui exclusivement en rapport avec nous-mêmes comme fin, il faut préciser que si nous ne désirons que ce dont nous avons besoin, nous ne désirons pas tout ce dont nous avons besoin : lorsque nous avons besoin de quelque chose qui nous manque en vue d'une fin qui n'est pas nous-mêmes, d'une fin qui nous est extérieure, comme par exemple celle de planter un clou, nous ne pouvons pas désirer ce dont nous avons besoin. [...]
[...] Si le désir est bien souvent désir d'être heureux, il peut aussi bien être désir de changer le monde, de créer une oeuvre, de conquérir de nouveaux espaces, mais aussi désir de l'impossible, de retrouver une jeunesse ou une santé qu'on a perdu pour toujours, de rencontrer un prince charmant, de gagner au loto sans jouer . Les fins que le désir peut poser souverainement sont libres de toute limitation au point de sembler parfois totalement folles. Mais qu'est-ce que ce genre de fins ? [...]
[...] A moins toutefois qu'il ne soit pas d'une autre nature que le besoin. La notion de besoin désigne non pas une chose en tant que telle, mais l'état d'un être vivant ou d'une chose (cette chambre a besoin d'être rangée par rapport à ce qui lui est nécessaire en vue d'une fin quelconque. (Définition tirée du dictionnaire philosophique de Lalande). On dira par exemple que l'on a besoin d'un marteau pour planter un clou, que les enfants ont besoin d'être éduqués, que nous avons besoin de nous nourrir pour vivre. [...]
[...] On pourra toujours trouver de tels désirs vains, comme le fait Epicure lorsqu'il distingue les désirs nécessaires et naturels des désirs non nécessaires et non naturels, comme le désir de faire bonne chère, ils n'en sont pas moins des désirs et des désirs qui finissent par engendrer des besoins en créant un état de manque. L'état de besoin est l'état dans lequel nous plonge un désir exaspéré, frustré. La nécessité de faire cesser l'état de besoin n'est pas biologique, elle est engendrée par un désir. Allons plus loin : si le désir est premier et engendre un état de besoin, c'est-à-dire un état de manque par rapport à une fin déterminée par le désir lui-même, il n'est peut-être pas exact de réduire le désir à l'effet d'un manque, comme le fait Platon. [...]
[...] L'état de besoin qui n'est en effet qu'un état, un état passivement vécu qui exprime, quelquefois douloureusement, un manque serait l'envers du désir, déterminé par ce même manque, mais comme tendance vers un objet ou une fin, exprimant ainsi une force, une activité que n'est pas présente dans l'état de besoin. De ce point de vue, on peut soutenir que nous désirons ce dont nous avons besoin. D'une part au sens où l'on peut dire que l'état de besoin est à l'origine d'un désir qui va prendre pour objet le moyen qui nous manque, celui dont précisément nous avons besoin, dans la poursuite de notre fin, et donc que le désir a pour fonction de mettre fin à l'état de besoin. [...]
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