« Toute sa vie, il est resté fidèle à lui-même », dit-on parfois, souvent avec une pointe d'admiration, comme s'il s'agissait là d'un exploit dans un monde aussi changeant que celui dans lequel nous évoluons... Pourtant, cet individu, loué pour sa constance, a sans doute évolué...
De fait, si le sujet paraît changer, il semblerait que cette évolution ne remette pas essentiellement en cause le « moi ». Voilà un constat a priori fort paradoxal, dans la mesure où le temps est généralement perçu comme le principe même du changement, du mouvement... Dès lors, comment se fait-il qu'en dépit du temps, je demeure le même ? (...)
[...] D'ailleurs, le temps est souvent représenté par une ligne et donc, dans l'espace. Aussi peut-on dire, en ce sens, que chaque point de cette ligne qui peut, par exemple, matérialiser les différents instants, les périodes de la vie d'un individu diffère des autres ; il semble alors possible d'isoler, de déterminer des instants correspondant à des états précis (le temps physique étant divisible) attestant des modifications subies par le je au fil du temps Or justement, Bergson nous invite à retrouver en nous l'intuition du temps concret la durée et à abandonner ce temps physique abstrait, dénaturé, acquis, conceptuel, divisible Au contraire, la durée s'avère concrète, vécue, innée, intérieure à la conscience, au je ou plutôt, pour reprendre la terminologie bergsonienne, au moi profond qui constitue le fond même de l'être : le moi profond est, en effet, le produit de tout son passé, qu'il porte en lui à chaque instant (d'où le fameux concept de mémoire totale que nous avons évoqué plus haut ; la mémoire, le je la conscience ne sont qu'un, pour ainsi dire). [...]
[...] * En toute circonstance, je porte le sceau (sinon le poids) d'un passé unique, que l'écoulement du temps ne saurait effacer. Tout d'abord, il convient de souligner l'importance capitale de l'éducation et de la socialisation, qui modèlent le sujet et sa personnalité en profondeur, le marquent souvent comme au fer rouge, au point d'en être influencé toute sa vie durant. Ainsi Bourdieu a-t-il forgé le concept d'habitus, à savoir l'ensemble des dispositions plus ou moins inconsciemment acquises du milieu, du groupe social d'origine et qui influencent largement sinon déterminent les opinions, els actions et les perceptions de l'individu ; il est fort difficile de rompre totalement avec cet habitus profondément ancré dans la science (à mois que ça ne soit bien plutôt dans l'inconscient) du sujet, du moi. [...]
[...] Le passé est puissant et il semble bien difficile de changer radicalement, essentiellement : au fond de moi-même, je demeure le même * D'ailleurs, peut-être le temps n'est-il qu'une forme de la sensibilité et n'engendre-t-il pas nécessairement la transformation profonde du sujet ? Kant estime ainsi que le temps est une forme pure de la réceptivité, par laquelle l'esprit s'intuitionne lui-même et ordonne l'ensemble de ses représentations, suivant l'ordre de la successivité. Le je réceptacle de toutes mes perceptions, effectue la synthèse de ce qui s'offre à ma conscience ; aussi le temps n'existe-t-il que par ma propre subjectivité et demeure insaisissable ; il n'atteint de fait pas fondamentalement le je lui-même, qui reste inchangé dans son essence. [...]
[...] Aussi peut-on affirmer que, si la durée est créative, elle me permet de demeurer le même, malgré l'écoulement du temps : la créativité n'engendre pas une transformation radicale. Il y en fait, si l'on ose dire, changement dans la continuité ; le moi superficiel est ainsi plus susceptible d'évoluer que le moi profond, gage, en quelque sorte, de fidélité à soi-même. * CONCLUSION Ainsi, en dépit de la fuite du temps, je demeure a priori quelque peu paradoxalement essentiellement le même, au-delà des (inévitables transformations finalement accidentelles, et je parviens à transcender en un sens, le temps : en effet, il semble que le sujet soit impuissant à s'affranchir totalement, radicalement du passé ; et si le temps est par essence mouvement, il n'atteint cependant pas le cœur même de l'être, le je Bien plus, nous avons tenté de rendre compte, avec Bergson, de la fidélité à soi-même dans le temps en envisageant celui-ci comme pure durée. [...]
[...] En outre, la mémoire, la conservation des souvenirs participent de la fidélité de la personne à elle-même. En effet, mémoire et souvenir sont au cœur de l'intimité du sujet et façonnent sans cesse sa propre identité,, que l'on ne saurait radicalement aliéner : je suis pétri de souvenirs qui enrichissent mon moi profond : ainsi, Bergson a mis en évidence l'idée de mémoire totale (idée qui découle d'ailleurs de la durée, comme nous allons le voir ultérieurement) : je porte à chaque instant la totalité de mon passé, ce qui est fondamental pour expliquer la constance du je Contentions-nous pour le moment de souligner combien la mémoire (la mémoire-habitude, plus ou moins consciente, qui elle, peut guider l'action ; la mémoire disons plus intellectuelle, qui enregistre des choses apprises et pouvant être restituées en tant que telles, ou encore la mémoire affective, sensorielle ) assure, pour beaucoup, l cohérence du moi dans le temps, et ce d'autant plus que le moi, en tant qu'il est la synthèse de mon passé, est nécessairement constant et reste le même (tout en s'enrichissant cependant) : en effet, si le temps s'écoule, le passé ne peut évidemment être rejoué, d'où, de fait, la fidélité du je à lui- même. [...]
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