Le rapport entre le fond et la forme du langage poétique a souvent été problématique. Aux thèses identifiant l'essence de ce langage dans son aptitude à traiter de lui-même, en délaissant tout contenu étranger à soi, répondent celles selon lesquelles la forme ne servirait qu'au déploiement du fond qu'elle recèle. C'est, à titre d'exemple, ce qui a constitué la complexité de l'analyse de la poésie mallarméenne et qui en a motivé ses réceptions radicalement différentes. La question s'est ainsi transformée en un débat récurrent aussi bien dans le domaine linguistique que dans l'analyse de la poétique en y apportant de nombreuses nuances.
C'est dans ce contexte qu'il faut situer le jugement de Paul Valéry selon lequel: "Philosopher en vers, c'est vouloir jouer aux échecs selon les règles du jeu de dame." Le caractère de l'affirmation, en apparence clair, mérite pourtant d'être analysé de façon précise. Il s'agit, pour le poète Sétois, d'exprimer tout d'abord l'inadaptation de l'activité philosophique au domaine métrique. Et cela en raison du caractère différent que présentent la réflexion et le langage poétique. La première, symbolisée par le jeu des échecs, implique une complexité, une inorganisation schématique dont le second est totalement dépourvu en raison des attributs du jeu de dames, à savoir un caractère géométrique défini, une nécessité d'organisation formelle précise et un travail systématique. Il n'est donc pas simplement question d'exprimer une inadaptation mais aussi et surtout de s'interroger sur l'équilibre à établir entre la forme et le fond. Car l'inadaptation n'est pas présentée comme l'incompatibilité de deux éléments qui ne peuvent cohabiter. Celle-ci est motivée par le mauvais emploi dont "philosopher en vers" est victime. Elle se manifeste au moment où l'activité philosophique et le langage poétique évoluent selon des règles qui ne leur appartiennent pas, celles du jeu de dames pour la première, celles du jeu des échecs pour le second.
[...] Ainsi, il est inutile de "philosopher en vers" si c'est pour le faire dans des conditions qui ne soient pas compatibles à la nature des éléments mis en cause. Petit lexique * The wasteland La terre vaine * dull roots ennuyeuses racines * these fragments ces fragments * read lu * sighs soupir * Here is no water but only rock, rock and no water and the sandy road il n'y a plus d'eau mais que des rochers, des rochers et pas d'eau, seulement la route sableuse * If by dull rhymes our English must be chained, and, like Andromeda, the Sonnet sweet fettered in spite of pained loveliness Si par d'ennuyeuses rimes notre langue devait être enchaînée, et, comme Andromède, le tendre Sonnet, enchaînerait en dépit d'une soufferte beauté. [...]
[...] La thèse soutenue est que la forme ne doit pas se charger d'emprisonner dans ses règles et son organisation précise le fond quitte à en capturer le sens. C'est exactement dans ce sens qu'il convient de procéder. Il a été possible de situer l'importance des figures de style dans le but de conférer un certain degré de déploiement sur lui-même du langage poétique. Cependant, le rôle des figures de rhétorique dans le contexte inverse n'est pas des moindres. C'est par exemple ce qui permet de faire du sonnet "Tout s'enfle contre moi. [...]
[...] Paul Valéry exprime l'inadaptation de philosopher en vers dans le cadre d'un faussement de règles. Il n'est pas possible de mettre en pratique cette activité si on dénature aussi bien le rôle des vers, organisés précisément selon le symbole du jeu de dames que celui de philosopher, lié à la réflexion caractéristique du jeu des échecs. Ainsi, la critique s'adresse non pas à l'acte de philosopher en vers, mais à celui de le faire dans certaines conditions. Ce sont celles de l'écriture autotélique qui supprime la question du pourquoi pour ne laisser de place qu'au comment du langage poétique minimisant ainsi la possibilité d'un déploiement du fond de ce langage en s'arrêtant à son aspect formel. [...]
[...] Celle-ci est motivée par le mauvais emploi dont "philosopher en vers" est victime. Elle se manifeste au moment où l'activité philosophique et le langage poétique évoluent selon des règles qui ne leur appartiennent pas, celles du jeu de dames pour la première, celles du jeu des échecs pour le second. La réflexion est ainsi acheminée vers plusieurs questions. Tout d'abord, quelles sont les raisons qui déterminent l'inadaptation du "philosopher en vers" ? S'agit-il d'une inadaptation systématique ? Des conditions qui rendraient la liberté de la réflexion philosophique conforme à l'organisation du langage poétique sont envisageables ? [...]
[...] La critique de Valéry vise ainsi une catégorie bien précise de langage poétique, celle qui attribue à la forme le rôle de parler d'elle-même en se souciant, peu ou pas, du fond qu'elle recèle. En effet, il existe plusieurs exemples qui rendent la critique de Valéry pertinente. Le langage poétique a souvent manifesté l'envie et la volonté de parler de lui-même, en finissant par souligner son caractère autotélique c'est-à-dire de se concevoir comme but de sa propre existence. Il est utile de préciser que tout langage poétique construit de cette façon critique ouvertement le déploiement d'un fond. C'est le cas du Sonnet en x de Mallarmé. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture