L'homme, en cela différent de l'animal, se situe hors du temps par sa conscience du temps et au-delà de la mort par sa conscience même de la mort. De la conscience de la finitude de l'existence, preuve de l'aspiration humaine à l'infini, découle une inévitable « angoisse devant la mort », selon l'expression de Heidegger dans L'Etre et le Temps.
Une des tâches existentielles de l'homme est de gérer cette angoisse, en la fuyant, en l'affrontant, en vivant. Qui plus est, la question de la mort se pose forcément à notre entendement en cela qu'elle est réflexion métaphysique et que, dit Kant, l'« on ne cessera jamais d'aspirer à la métaphysique parce que l'intérêt de la raison humaine universelle s'y trouve bien trop intimement impliqué » (...)
[...] > Mais avons-nous vraiment besoin d'être consolés, et nous faut-il donc nous arracher à nos attaches sensibles pour parvenir à vaincre en nous l'angoisse de la mort ? C'est une sorte de monisme qui répond à la question : si l'expérience de la pensée, si le fait de philosopher est élévation, alors celui-ci implique un niveau supérieur, une élévation par rapport à un autre niveau. Et c'est autre niveau, qui est la condition même de l'élévation, n'est-ce pas justement le monde sensible, celui auquel Aristote même accordait une place primordiale puisqu'il disait la philosophie fille de l'étonnement ? [...]
[...] En cela on peut bien dire que philosopher c'est apprendre à mourir, dans la mesure où l'on s'approche de la mort, où l'on se familiarise avec l'idée de la mort pour reprendre la formule d'Épicure dans la Lettre à Ménécée et où la philosophie constitue en quelque sorte une mort vivante c'est-à-dire le plus haut degré de lucidité possible dans le monde de la nature corporelle. De cette lucidité maximale on peut tirer une autre relation, plus générale celle-là, qui serait illustrée par un sens courant du nom philosophie à savoir la capacité à relativiser, à considérer par rapport à d'autres choses comparables. [...]
[...] Dès lors, on peut s'interroger sur la valeur de la philosophie comme apprentissage de la mort alors même que celle-ci ne semble que nous désapprendre à vivre. Dans la quatrième partie de l'Éthique, Spinoza recadre ainsi l'acte de philosopher, la pensée, dans une optique différente de celle adoptée par Platon : pour lui en effet, l'homme libre ne pense à rien moins qu'à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort, mais de la vie. La sagesse pour l'homme libre (c'est-à-dire, pour Spinoza, celui qui a pris conscience de la nécessité qui règle le cours des choses et vit sous la seule dictée de la raison) est donc d'abord méditation de la vie c'est-à- dire qu'il désire agir, vivre et conserver son être selon le principe qu'il faut chercher l'utile qui nous est propre. [...]
[...] L'inconnu de la mort nourrit l'angoisse qui ne peut dès lors pas se vaincre comme l'on vaincrait une peur : la peur porte sur un objet relativement déterminé alors que l'angoisse est centrale et concerne le volume total de l'existence. Dans L'être et le temps, Heidegger écrit ainsi que rien de ce qui est à notre disposition ou de ce qui subsiste à l'intérieur du monde ne peut remplir le rôle de ce qui angoisse l'angoisse. ( ) C'est pourquoi encore, ajoute-t-il, l'angoisse ne voit s'approcher ce qui menace ni d'un ici ni d'un là déterminés. Que le menaçant ne soit nulle part caractérise ce qui angoisse l'angoisse. [...]
[...] Au-delà, on peut voir la philosophie comme ce qui accomplit notre vie, ce qui lui donne son sens, toute mortelle soit-elle. Si l'esprit a pu s'envoler si haut, s'éloigner à un tel degré, semble-t-il, du monde sensible, sans entraîner la mort de l'individu comme entité, la séparation entre l'âme et le corps, c'est alors qu'il existe une certaine immortalité, l'immortalité de pensées ou de réflexions dont la trace, bien plus qu'une trace matérielle, est l'existence même. Cette existence transcende les corps et le temps mais surtout, elle transcende la vie, c'est-à-dire qu'elle ne nécessite pas cette présence biologique que représente le corps. [...]
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