Le désir est l'expression d'un manque, d'une privation, d'une incomplétude. On ne désire en effet que ce qu'on ne possède pas et dont on éprouve le manque dans un sentiment d'indigence, d'insuffisance, d'insatisfaction et de souffrance. Si donc le désir s'accompagne d'un état d'insatisfaction, on comprend alors qu'en poursuivant sa propre satisfaction, le désir poursuit, en fait, sa propre abolition. Tout désir désire, au fond, ne plus désirer ; tout désir poursuit la mort du désir.
Mais où le désir prend fin, commence une autre forme de souffrance : l'ennui, où l'on souffre non pas du manque du désir, mais plutôt du manque de désir, ce qui fait alors apparaître le désir comme désir du désir. Autrement dit : ce que je désire, je ne l'ai pas et souffre de ne pas l'avoir ; ce que j'ai, je ne le désire pas et souffre de ne pas le désirer. Le désir, comme le souligne Schopenhauer, semble donc vouer l'homme à osciller, comme un pendule, de droite à gauche, entre la souffrance (du manque) et l'ennui (du manque du manque).
Qu'en est-il vraiment ? L'homme peut-il échapper à cette tragique alternance et assumer sans ennui ni souffrance sa nature délirante ? Telle est la question à laquelle les analyses qui suivent vont tenter de répondre.
[...] Ce mot n'a de sens qu'animal. L'organisme heureux s'ignore Dans le même sens, J.Rostand dira qu'« il n'y a pas de bonheur intelligent. N'est-ce pas également ce que nous dit la sagesse populaire qui se représente le bonheur sous la forme de la parfaite adéquation de l'animal à son milieu : Heureux, dit-on, comme un poisson dans l'eau L'insatisfaction du désir n'exprimerait-elle pas alors, fondamentalement, l'insatisfaction de l'homme à l'égard de sa nature animale ainsi qu'un profond refus du bonheur des bêtes ? [...]
[...] Le bonheur lui semble donc inaccessible. Voué au désir et au temps, l'homme semble donc irrémédiablement condamné à une existence malheureuse. Cette conclusion pessimiste ne repose-t-elle pas cependant sur quelques postulations implicites qu'il conviendrait d'analyser de plus près ? Le bonheur, idée animale L'incompatibilité entre le désir et le bonheur présuppose l'identification du bonheur à un état de satisfaction et, inversement, l'assimilation du malheur à l'insatisfaction. Dès lors, parce qu'il ne saurait être satisfait, le désir ne saurait être heureux et l'homme, en tant qu'être de désir, ne saurait connaître le bonheur. [...]
[...] Mais une fois en possession de ce que l'on désirait, voilà qu'on ne le désire plus et qu'à la satisfaction attendue se substitue un vide que creuse un nouveau désir. Tout se passe donc comme si la satisfaction du désir, loin d'apaiser celui-ci, l'exacerbait au contraire en le faisant renaître, tel le Phoenix de ses cendres, renforcé de sa propre satisfaction. Si le désir ne se satisfait ainsi d'aucune satisfaction c'est parce que toute satisfaction risque de compromettre le retour du désir. Par où l'on comprend qu'on ne désire rien tant que de désirer. [...]
[...] Aussi Bachelard soulignait-il l'importance du feu dans la nourriture humaine : C'est par une sorte de plaisir de luxe, comme dessert, que le feu prouve son humanité. Il ne se borne pas à cuire, il croustille. Il dore la galette. Il matérialise la fête des hommes [ La conquête du superflu donne une excitation spirituelle plus grande que la conquête du nécessaire. L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin Ainsi peut-on opposer et préférer, à l'idéal de frugalité, de sobriété, voire d'ascèse, prôné par les sagesses de l'antiquité, la voie de l'insatisfaction toujours renaissante du désir. [...]
[...] Si donc le désir est manque, le bonheur, irrémédiablement, est manqué. Or, l'expérience toute simple et banale du plaisir suffit pour réfuter que le désir soit essentiellement manque. Que peut-il être, alors ? III - Le desir comme puissance de jouir et comme jouissance en puissance ou la possibilite d'un desir heureux le plaisir comme actualisation du désir : plaisir en repos et plaisir en mouvement Que le désir soit lié au manque et à la souffrance, cela est aussi incontestable que fréquent. [...]
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