Se demander si l'on peut tout dire, c'est se demander d'une part s'il est permis de tout dire (question qui présuppose que l'on ait le choix), et , d'autre part, c'est se demander s'il est possible de tout dire (il s'agirait alors d'une possibilité de type logique). M'est-il possible, par le langage, de rendre compte de « tout », à savoir d'un ensemble de la réalité qui comprendrait des choses, des expériences, des sentiments, des pensées, des sensations?
Le langage est à la fois puissance symbolique, puissance expressive et vecteur de communication: dire, c'est toujours dire à quelqu'un, mais le langage me permet-il d'être toujours compris? Les mots que nous partageons nous permettent-ils de faire part de nos singularités? Comment du commun (le mot, investi d'une fonction de communication, nous est commun) peut-il être à même de rendre compte de ce qui est le plus singulier?
[...] D'emblée, on le voit, la formulation de la question nous porte à remettre en cause l'existence d'un langage qui ne serait que le véhicule, le support neutre de la chose, et nous invite à considérer ce paradoxe selon lequel parler, c'est se servir d'outils communs pour renvoyer à des choses parfois si peu communes qu'il leur arrive, et nous en faisons l'expérience quotidienne, de nous échapper. Dans un premier temps, nous ferons l'hypothèse qu'il est possible de tout dire, en nous appuyant en particulier sur une conception logique du langage, langage censé recouvrir l'ensemble de la réalité. [...]
[...] Il nous faudra alors, dans un second temps, étudier les limites d'un langage qui, procédant avant tout par fixation et par généralisation, trahit nécessairement ce qui m'est le plus singulier. Enfin, nous verrons que, s'il n'est pas possible d'affirmer que le langage dit tout, on peut en revanche poser que son indépendance vis-à-vis d'une réalité qu'il est impuissant à refléter investit le langage d'une potentialité créatrice: le langage crée de la réalité. Il est possible de tout dire Dans un premier temps, il est possible de penser qu'on peut tout dire si l'on suppose qu'à chaque chose correspond un mot, que ce mot soit le même pour tous et que cette chose soit donc la même pour tous. [...]
[...] Or, si dans tout langage se trouve une pente logique, le langage contraint la pensée en la forçant à épouser sa structure. Ainsi, dit Nietzsche, le langage contraint la pensée à n'avoir qu'une direction: mais qu'est-ce qui nous dit que nos pensées sont naturellement uniformes, suivent une seule direction, et obéissent à une structure logique? Le langage déforme nos pensées en les soumettant à sa grammaire, par logique. Poser un verbe, par exemple, suppose qu'on induise dans la phrase un agent, un sujet. De même, poser une conclusion nous fait attendre des prémisses, etc. [...]
[...] II- Les limites du langage Ainsi, le langage contient en lui, du fait de sa nature, la possibilité de travestir la réalité. Il peut dire tout, et n'importe quoi: je peux, par son intermédiaire, par le fait qu'il est issu d'une puissance d'arbitraire, volontairement trahir, déformer, voire nier la réalité. Mais s'agit-il seulement d'une démarche volontaire, et puis-je, si je le souhaite, tout dire Ce qui fait problème, ici, c'est précisément ce qui, dans ce tout peut renvoyer à de la singularité, c'est-à-dire ce qui peut se dérober à un langage investi d'une fonction de communication. [...]
[...] (Hobbes, Eléments de la loi). Aussi la parole modifie-t-elle de fond en comble la constitution mentale et affective de l'homme en l'arrachant à sa condition animale et en faisant de lui, dit Hobbes, un être pour qui la science, la justice ou la loi (ensembles de codes et de symboles) ont un sens. Sans la parole, il n'y aurait pas eu parmi les hommes plus de République, de société, de contrat et de paix, que parmi les lions, les ours et les loups (Hobbes, Léviathan). [...]
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