Le terme "idéologie" apparaît pour la première fois sous la plume d'Antoine-Louis-Claude Destutt de Tracy, un philosophe français qui publie en 1801 ses Eléments d'idéologie, avec l'ambition d'expliquer "la formation des idées à partir des perceptions de la réalité externe", "en termes naturalistes" (RAYNAUD, Philippe et RIALS, Stéphane (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Presses Universitaires de France, Paris, 1996). Rapidement, le mot est rattaché à une connotation négative - les idéologies ne seraient qu'un "rapport déformé au réel", un "corpus d'idées fausses, coupées des réalités concrètes" - et Marx, en les qualifiant d'"illusions de la conscience", élabore une définition de l'idéologie assez proche de celle communément acceptée de nos jours.
Cette notion se retrouve au coeur du débat sociologique et politique au XXe siècle, souvent présenté comme le "siècle des idéologies", en particulier du nazisme et du communisme. En 1991, lors de la chute de l'URSS, on commence à évoquer la "mort des idéologies" pour désigner la fin de systèmes d'organisation politique et sociale destructeurs. C'est donc dire toute la polémique qui entoure la question de l'idéologie, un terme désormais entré dans le langage courant et utilisé de manière récurrente. On parle ainsi de l'idéologie "tiers-mondiste", de l'idéologie "consumériste", etc.
Cependant, une étude "en toute rigueur" de la notion d'idéologie et de son éventuelle fin se doit impérativement de définir avec précision le sens accordé au mot "idéologie", sous peine de basculer dans le dialogue de sourds et une jungle de malentendus. Qu'est-ce donc qu'une idéologie ? N'est-elle pas un phénomène propre à toute société ? Parler de "fin de l'idéologie" ne reviendrait-il donc pas à nier l'existence de toute subjectivité humaine ?
Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre en définissant dans un premier temps le terme "idéologie", puis en considérant les différentes thèses du déclin des idéologies, avant de prendre un peu de recul pour nous interroger sur le bien fondé de ces hypothèses.
[...] Définir et expliquer l'idéologie 1). Les critères discriminants Au-delà de la connotation péjorative associée à l'idéologie, ce terme désigne généralement tout "système d'idées plus ou moins organisé" (Raynaud, Rials), c'est-à-dire des "ensembles cohérents de représentations mentales relatifs à l'organisation sociale et politique" (BRAUD, Philippe, Sociologie politique (8e édition), L.G.D.J., Paris, 2006). Les idéologies s'opposent aux religions : en effet, elles ne se basent pas sur des notions de transcendance ou de surnaturel, mais elles comportent une visée rationnelle, voire scientifique. [...]
[...] Peut-on parler en toute rigueur de la mort des ideologies ? Introduction Le terme "idéologie" apparaît pour la première fois sous la plume d'Antoine-Louis-Claude Destutt de Tracy, un philosophe français qui publie en 1801 ses Eléments d'idéologie, avec l'ambition d'expliquer "la formation des idées à partir des perceptions de la réalité externe", "en termes naturalistes" (RAYNAUD, Philippe et RIALS, Stéphane (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Presses Universitaires de France, Paris, 1996). Rapidement, le mot est rattaché à une connotation négative - les idéologies ne seraient qu'un "rapport déformé au réel", un "corpus d'idées fausses, coupées des réalités concrètes" - et Marx, en les qualifiant d'"illusions de la conscience", élabore une définition de l'idéologie assez proche de celle communément acceptée de nos jours. [...]
[...] La "fin de l'idéologie" ? 1). La thèse de Daniel Bell C'est dans les années 1960 que le sociologue américain Daniel Bell publie la première édition de son ouvrage La fin de l'idéologie. Après les expériences nazie et "communiste", Bell considère que "l'âge idéologique appartient au passé" puisque le monde occidental voit aujourd'hui "un quasi-consensus parmi les intellectuels autour des enjeux politiques : acceptation de l'Etat-providence, avantage d'un pouvoir décentralisé, système mixte en économie et pluralisme politique". Mais si "les vieilles idéologies et les anciens débats intellectuels du XIXe siècle sont épuisés, les Etats en expansion d'Asie et d'Afrique forgent de nouvelles idéologies" : idéologies de l'industrialisation, du panarabisme, du nationalisme ou de l'affirmation ethnique. [...]
[...] Philippe Braud parle alors de "systèmes de croyances laïcisées". Le sociologue américain Edward Shils établit huit critères discriminants : "le caractère explicite et autoritaire de la formulation ; la forte systématicité interne à partir d'une ou de plusieurs valeurs mises en avant (par exemple le salut, l'égalité, ou la pureté ethnique) ; l'insistance sur la spécificité du message, par opposition aux autres représentations courantes dans la société ; la fermeture théorique et la résistance à l'égard des innovations qui pourraient intervenir dans la définition du message; le caractère impératif des prescriptions ; la tonalité affective associée à celles-ci ; l'exigence de l'accord complet des personnes qui y adhèrent ; et enfin l'existence d'institutions collectives qui permettent de maintenir la discipline parmi les adhérents et de vaincre à l'égard de ceux qui ne le sont pas. [...]
[...] Que l'on considère l'idéologie comme un système d'idées doté d'une cohérence propre ou bien comme une construction de la conscience basée sur une déformation de la réalité, évoquer la "fin de l'idéologie" revient dans les deux cas à nier l'existence de toute subjectivité humaine. Car toute société, toute activité intellectuelle des individus supposent un système de valeurs : on a aujourd'hui tendance à présenter la société démocratique comme une fin en soi, un but vers lequel auraient tendu toutes les communautés humaines qui nous ont précédé, un état des choses destiné à demeurer inchangé dans le futur parce qu'il est le seul valable. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture