Tout d'abord, il faut distinguer entre langage et parole : la parole étant l'actualisation du langage comme faculté humaine (c'est la distinction que pratique Benveniste). La parole est donc dépendante d'une situation de communication, puisqu'elle est toujours une actualisation. Si l'on peut dire qu'il y a un langage des gestes, des mimiques, on ne considèrera pas pour autant qu'il s'agit de paroles en tant que telles puisqu'il y a actualisation non pas de la faculté de langage, mais des divers moyens dont se sert un locuteur pour rendre sa pensée compréhensible. En effet, si l'on se réfère à la conception commune de la parole, on peut dire que parler, c'est exprimer des pensées. On distingue donc deux couches différentes : l'une faite de pensées pures, présentes dans l'esprit d'un locuteur, et l'autre faite de paroles, qui permettent de donner une expression verbale des pensées.
[...] La parole reste marquée par la passion: elle peut être vue comme un agôn. Ainsi, au théâtre, la parole symbolise l'espace de la royauté: celui qui s'approprie l'espace scénique par la parole est celui qui domine. Il n'y a donc pas de parole neutre, de parole véritablement construite sans passion, sans investissement intime du locuteur. En somme, la parole est notre élément comme l'eau est celui du poisson (pour reprendre la comparaison de Merleau-Ponty), les mots forment notre univers propre; à chaque langue, à chaque locuteur correspond un monde. [...]
[...] Or, on considère la parole comme un outil au service de l'homme et non pas l'inverse. C'est à dire que la parole ne peut être justement qu'ambigüe pour pouvoir être un outil efficace. Moins elle est déterminée en elle-même, plus l'homme peut en faire un usage varié. Peut-on par conséquent considérer l'ambiguïté de la parole non pas comme un défaut mais au contraire comme une caractéristique fondamentale, ce qui permet d'utiliser la parole comme un outil. De même que la main est considérée par Aristote comme l'outil le plus performant parce qu'elle peut être utilisée de multiples façons, de même l'ambiguïté de la parole en ferait, fondamentalement la richesse. [...]
[...] Il s'agit seulement de respecter les règles de rigueur propres à chaque jeu de langage. Ainsi, la rigueur d'une prière, si elle ne peut être la même que celle d'une démonstration mathématique, n'en est pourtant pas inexistante; il s'agira pour une parole religieuse de se conformer à la religion, d'utiliser un vocabulaire adéquate, de s'adresser à Dieu d'une manière respectueuse . Ainsi, Montaigne peut-il estimer que la seule prière véritablement rigoureuse est le Pater Noster "dictée mot à mot par la bouche de Dieu" (Essais, chapitre LVI, "des prières"). [...]
[...] Pour l'homme, il n'y a pas de signes conventionnels, il n'y a qu'un usage des mots selon un "génie de l'équivoque" qui pourrait caractériser l'être humain, une "puissance irrationnelle" qui crée des significations et les communique. La communication s'accomplit alors sans aucune garantie "au milieu d'incroyables hasards linguistiques" (Merleau-Ponty, Le corps comme expression et la parole). [...]
[...] ] et l'on s'interdit de comprendre à quelle profondeur les mots vont en nous". Une pensée et une parole parallèles devraient être chacune dans son ordre complètes; or, la pensée demande aux mots les moyens d'exister, la parole accomplit la pensée et on ne peut pas considérer qu'une pensée puisse exister en dehors des mots: nous pensons avec des mots. Par conséquent, il ne faut pas séparer dans un discours, la pensée de l'orateur de ses paroles: lorsqu'il parle il se fait "pur opérateur de la parole"; l'orateur ne pense pas aux mots quand il parle: sa parole est sa pensée. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture