Le monde vécu structure inéluctablement notre pensée, reste, pour s'en défaire, à en prendre conscience. Il ressort des influences du monde vécu qu'on a tendance à avoir des prénotions qui guident notre perception des sujets à objectiver. Norbert Elias met en garde, à cet égard contre la théorisation a priori. En effet, une fois l'hypothèse construite, le chercheur peine à remettre en question les prémisses de son travail. Pour favoriser l'objectivation de l'objet, Pierre Bourdieu préconise un travail à la fois sur sa subjectivité par rapport à l'objet, mais aussi, une prise de conscience des forces sociales qui ont pu modeler les analyses précédentes ; il faudrait recenser les causes des prénotions qui pourraient induire le chercheur en erreur.
Le travail d'objectivation du monde vécu est d'autant plus délicat qu'il suppose une prise de conscience des choses qui vont de soi, qui semblent naturelles et sur lesquelles on peine à s'interroger parce qu'on s'aperçoit difficilement de leur existence. Avec le tournant linguistique, la philosophie a pu déceler une des causes majeures des difficultés à objectiver le monde vécu : le sens des mots. Avant ce tournant, on ne distinguait pas la chose du mot qui le désigne alors que les mots peuvent être connotés ou ne pas désigner avec exactitude l'objet. Une étape de l'objectivation du monde vécu passe par une interrogation sur le langage ; le choix des mots dans l'expression d'une idée ne traduit-elle pas alors l'usage conventionnel sans rendre l'unicité de l'analyse. En cherchant à exprimer le vécu de façon nouvelle, on peut faire apparaître des nuances ou même découvrir une lecture différente des pseudo-évidences du quotidien
[...] Les enquêtes y sont bien souvent commanditées par le gouvernement ou même par des entreprises privées, quelquefois dans le but avoué d'arriver aux conclusions souhaités par l'organe en question. Si, en France, il existe des subventions de recherches allouées par le gouvernement, le corps de chercheurs se targue de son indépendance intellectuelle. Il semble que cette différence soit en partie due aux différents ressentis quant aux besoins d'objectivation de la discipline par le corps professoral. Dans un colloque récent d'ethnographie à l'Université de Berkeley, cette question a été soulevée par le sociologue français Loïc Wacquant. [...]
[...] Pourtant, même si cette personne extérieure se trouve dans un système de pensée moins strict qu'une idéologie, qu'elle a l'illusion de penser librement, sa classe, son éducation et son vécu seront autant de facteurs déterminant la nature de sa vérité. Dans l'absolu, avec suffisamment de recul et d'emprise sur soi même, est-il réellement possible d'objectiver le monde vécu dans son ensemble ? Est-ce souhaitable, c'est une autre question. Un travail n'est pas forcément plus scientifique pour autant selon la culture dans laquelle il est lu. Ce n'est pas anodin si une majorité de chercheurs s'attèlent à étudier un pan de leur vécu. [...]
[...] L'étape de l'objectivation ne peut être simultanée de l'expérience du monde vécu ; elle suppose un recul et une conceptualisation qui ne peuvent être immédiats. Toute expérience concrète est avant tout vécue comme individuelle or comme il n'y a de science que du général celle-ci se constitue en barrière à la scientificité. La généralisation du particulier suppose une distanciation de la vérité qui rend délicate l'abstraction fidèle de la réalité. Une généralisation du particulier abouti bien souvent à une réduction de la réalité. [...]
[...] Avec le tournant linguistique, la philosophie a pu déceler une des causes majeures des difficultés à objectiver le monde vécu : le sens des mots. Avant ce tournant, on ne distinguait pas la chose du mot qui le désigne alors que les mots peuvent être connotés ou ne pas désigner avec exactitude l'objet. Une étape de l'objectivation du monde vécu passe par une interrogation sur le langage ; le choix des mots dans l'expression d'une idée ne traduit-elle pas alors l'usage conventionnel sans rendre l'unicité de l'analyse. [...]
[...] Ce choix serait une partie non - objectivable du monde vécu. Pour légitimer cette faille dans l'objectivation de son objet, Pierre Bourdieu explique que tant qu'on a conscience des pièges de sa subjectivité, il est plus facile de ne pas tomber dedans. Exprimé par lui, «Une entreprise d'objectivation n'est scientifiquement contrôlée qu'en proportion de l'objectivation que l'on a fait préalablement subir au sujet de l'objectivation. Par exemple, lorsque j'entreprends d'objectiver un objet comme l'université française dans lequel je suis pris, j'ai pour objectif, et je dois le savoir, d'objectiver tout un pan de mon inconscient spécifique qui risque de faire obstacle à la connaissance de l'objet, tout progrès dans la connaissance de l'objet étant inséparablement un progrès dans la connaissance du rapport à l'objet, donc dans la maîtrise du rapport non analysé à l'objet (la polémique de la raison scientifique dont parle Bachelard suppose presque toujours une mise en suspens de la polémique au sens ordinaire). [...]
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