Être soi-même, authenticité, psychologie, paraître, dissonance cognitive, regard des autres
Il n'est pas rare aujourd'hui d'entendre l'injonction "sois toi-même !". Le développement personnel abuse de ce mot d'ordre, au point qu'il est devenu une sorte de banalité psychologique omniprésente dans les médias, et qu'il est répété sans cesse par le grand public. Pourtant, quiconque commence à prendre cet ordre au sérieux s'aperçoit de ce qu'il a de paradoxal. Comment, en effet, pourrait-on être autre chose que soi-même ? Pourquoi faudrait-il faire des efforts pour être soi-même, alors que cela semble la chose la plus naturelle du monde ? Plus encore : comment pourrait-on être autre chose que soi, au point que l'on ait besoin d'un auteur, d'un coach, d'un gourou, ou plus sérieusement d'un psychologue, pour nous rappeler de rechercher notre vraie identité ?
[...] , demande-t-il (Pensées, Lafuma, 688). Ce n'est ni mon corps, ni ma pensée, et cela ne peut-être rien d'autre. Quelqu'un qui m'aime moi n'aime pas ma personne (qui est introuvable), seulement des qualités , c'est-à-dire des traits passagers, qui apparaissent et disparaissent. Ils ne sont pas moi puisqu'ils ne durent pas, mais je ne suis pourtant que cela. À la difficulté de savoir ce que l'on est s'ajoute celle de savoir ce que l'on vaut. Car le sois toi-même fait peut-être moins référence à ce que je suis théoriquement qu'à ce que je suis pratiquement, dans les faits. [...]
[...] Il n'y a donc rien de monstrueux à vouloir, pour une part, et pour une part, à ne pas vouloir. Mais c'est un état maladif de l'âme, qui, appesantie par l'habitude, n'arrive pas, quand la vérité la soulève, à se dresser toute. (Confessions, Livre VIII). Tout homme qui vit cette expérience se trouve dans un état intermédiaire : il veut être plus, mais il n'y parvient pas. Rilke, dans un de ces poèmes, le formule très clairement : Je vis, mais quelque chose me dit, avec une autorité irréfutable : tu ne vis pas encore comme il faut. [...]
[...] Mais même en faisant tout cela, quelle garantie ai-je de devenir un jour la personne que je souhaite être ? À bien y réfléchir, cela semble être un travail continu. Les philosophes me conseilleront, comme Heidegger, d'assumer ce que je suis, les coachs de développement personnel me donneront des règles ou des conseils pratiques à respecter, mais qui me dit à quel moment je serai enfin débarrassé du sentiment d'être en dessous de moi-même ? Est-ce qu'à chaque fois que je ferai des progrès, je n'aurai pas à l'esprit la possibilité de faire encore mieux ? [...]
[...] D'une certaine façon, être soi-même, c'est peut-être aussi se réconcilier avec ce que l'on est, même si cela peut paraître insatisfaisant. Quoi qu'il en soit, il serait inutile là aussi d'attendre le moment où enfin, on sera soi-même, car il n'arrivera probablement pas, sauf si on revient sur son passé pour se le raconter. Notre travail a cherché à analyser sérieusement l'injonction sois toi-même , pour montrer ce qu'elle avait de paradoxal. Nous avons vu qu'être soi-même n'est possible qu'à condition de se connaître un peu mieux soi-même, de savoir ce que l'on vaut, ce qui n'est pas évident. [...]
[...] C'est finalement le souci d'être conformiste, d'être comme les autres, de ne pas se singulariser, de ne pas risquer de se faire critiquer. La vie quotidienne se passe majoritairement dans une forme de vie habituelle, routinière, dans laquelle on vit en demi-teinte, sans se poser de questions ni assumer pleinement ce que l'on est. Pour Heidegger, c'est en refusant de s'identifier au on , en cherchant parfois dans la solitude à se retrouver soi-même que l'on peut essayer de redevenir pleinement ce que l'on est. [...]
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