L'homme, dans sa quête de confort intellectuel et moral, tente de réduire au maximum la marge d'incertitude, que l'on sait être source d'inquiétude, que l'existence comporte.
Cette peur du questionnement, du scrupule et du doute, nous fait rechercher des solutions toutes prêtes, peut être parce que nous avons peur d'y éprouver là notre liberté, ou notre imperfection (seul Dieu en effet ne peut douter de la moralité de sa volonté), ou plus simplement à cause de la souffrance que le cas de conscience provoque. Le fait est que nous faisons tout pour nous éviter de tels débats intérieurs, soit que nous nous en remettions à l'avis d'un mentor pour nous dispenser de délibérer, soit que nous cherchions, dans un catalogue précis de ce qu'il faut faire ou de ce qu'il ne faut pas faire, la réponse à nos problèmes.
Toutefois il n'est pas possible d'échapper toujours aux exigences de notre conscience, s'il faut appeler ainsi ce qui en nous demande de justifier nos choix.
Seul l'homme, parce qu'il a une conscience, et parce que cette conscience est exigence de moralité, cherche à être sûr d'avoir fait le bon choix ; cela dit, il ne faut pas confondre cette exigence de moralité avec la volonté, peu morale en elle-même, d'être quitte avec sa conscience, ou comme on le dit aussi, d'avoir la « conscience tranquille » ! Reste bien entendu à déterminer quels sont les critères à partir desquels nous jugeons que nous avons bien agi, puisqu'il n'est pas possible de juger de la légitimité d'une décision ou d'un acte sans nous référer aux principes qui les sous-tendent.
[...] I Conditions d'émergence et pertinence de la question (C'est-à-dire : quand cette question se pose-t-elle ? Quand est-elle pertinente 1 Les scrupules ne nous assaillent pas à chaque décision, à chaque moment de notre existence. La plupart de nos actions vont de soi, et ne demandent pas à être justifiées, parce qu'elles s'intègrent dans la vie sociale. Beaucoup de nos choix, de nos comportements, sont en effet dictés par les règles et les exigences sociales (plus que morales peut être) et matérielles, que nous avons intériorisées. [...]
[...] Nous connaissons les critiques adressées à Kant pour son formalisme (sa morale définit l'acte moral non par sa matière, mais par sa forme), qui est impuissant à définir les devoirs in concreto, ainsi que Sartre, dans L'existentialisme est un humanisme, nous en donne l'exemple : son jeune élève, tiraillé entre le devoir patriotique et le devoir filial, n'est guère aidé par les principes kantiens ; chacune des voies de l'atroce alternative l'oblige à sacrifier l'homme (sa mère ou ses compatriotes), ce qui n'est pas moral. Sartre en déduit que rien, si ce n'est notre liberté, ne peut décider à notre place. Rien de transcendant, ni même rien d'universel. Ni la raison, ni le sentiment, ni l'intérêt, ni même les exigences sociales, si diverses et si contradictoires. Un tissu complexe constitue notre histoire : telle époque, tel milieu, telle situation, telle tendance en moi, par rapport auxquels je dois trancher. Par liberté. [...]
[...] C'est peut-être là aussi que les critères habituels de moralité révèlent leur insuffisance : sans doute mon existence quotidienne est-elle en grande partie dirigée en fonction des critères sociaux (c'est-à-dire ce que la norme sociale accepte), sans doute la vision de mon intérêt est-elle également prépondérante dans la plupart de nos décisions (quoique nous ne sachions pas toujours, ainsi que le montre Epicure, quel est notre intérêt véritable, puisque nous cédons souvent à l'attrait du moment présent), mais c'est dans les crises intérieures, les conflits profonds, que je suis mis en demeure de choisir, parmi des intérêts opposés, et parmi des exigences sociales elles aussi opposées. Etre sûr de bien agir supposerait de plus que nous puissions mesurer tous les effets impliqués par notre décision, et la seule chose que nous sachions avec certitude, c'est que l'avenir est indéterminé et capricieux. Telle est la condition de l'homme, il doit aussi assumer ce qu'il n'a pas prévu. [...]
[...] Encore faut-il s'interroger sur le degré de légitimité d'une opinion. Ainsi voyons-nous qu'en certains cas, il est besoin de faire comme si nous savions que ce que nous faisons est bien, tout en n'en ayant pas l'entière certitude. II Sens de la question (C'est-à-dire : qu'est-ce que la question signifie 1 La question en elle-même révèle notre humanité. En effet se poser la question de la légitimité de nos actes, ou tout au moins de leurs conséquences dans le temps est le signe d'une inquiétude proprement humaine. [...]
[...] En ce sens il faut bien croire que nous pouvons être sûrs de bien agir, un peu comme le mathématicien a foi en la vérité. Il faut supposer que nous pouvons savoir ce qu'est le bien, pour ne pas sombrer dans le relativisme, si immoral, le désespoir, ou encore l'acte gratuit. Mais parvenir à l'universel, ce n'est pas le fait d'un sujet pur, omniscient, désincarné, mais d'un sujet engagé dans une histoire, visant des fins particulières : je ne suis pas un sujet-en-soi ayant à réaliser la justice-en-soi ou le bien-en-soi ! [...]
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