"J'aime mieux être homme à paradoxes qu'homme à préjugés". La préférence affichée par Rousseau donne au préjugé le pire des statuts. Mais s'il n'est déjà pas facile de mettre quelqu'un en face de ces contradictions, que dire des préjugés ? Ne désigne-t-on pas ainsi des conceptions déjà ancrées dans l'esprit et considérées comme certaines par celui qui les énonce ? N'y voit-on pas aussi l'influence sociale, culturelle, parentale pesant sur chaque individu ? (...)
[...] En a-t-on les moyens ? 2. La puissance du doute Individuellement, un exemple célèbre l'illustre. Descartes met en œuvre une solution radicale : celle du doute systématique. Il s'agit d'examiner si toutes les opinions et connaissances acceptées jusqu'alors peuvent être sujettes au moindre doute, et dans ce cas les récuser. On connaît son résultat, dans le Discours de la méthode notamment : il parvient à l'idée que l'énoncé je pense donc je suis est parfaitement irréfutable, car fondé sur une vérité elle-même indubitable : pour penser il faut être L'important ici est plus le procédé que le résultat. [...]
[...] L'éducation à la réflexion, la diffusion publique des jugements sur toute chose, y compris sur le bien-fondé d'une loi, d'une interprétation religieuse, etc. doivent contribuer à changer la donne. L'époque n'est pas encore pleinement éclairée, où ce processus serait achevé, mais la diffusion des Lumières l'enclenche et l'espoir est permis. Kant cite même Frédéric II de Prusse, comme un artisan de ce progrès. Ce qui pose problème, car s'il faut passer par un despote éclairé pour mener la guerre contre les préjugés, ne risque-t-il pas d'y avoir contradiction et danger à imposer une sorte de pensée officielle ? [...]
[...] Pour les pensées, il en va de même. Vouloir imposer une façon de penser, ou une doctrine officielle, quelle qu'elle soit, c'est aller contre la nature humaine et favoriser la rancœur de ceux qui se sentent niés dans leur singularité. L'intention a beau être louable, et même salutaire, décréter l'élimination des préjugés requerrait une force totalitaire. La liberté d'expression et de pensée est un droit naturel de l'individu, estime Spinoza. Cela passe donc par la tolérance à l'égard de doctrines ou de préjugés totalement infondés, mais inévitables. [...]
[...] Le préjugé est le fait de prendre pour principe d'établissement de la vérité une opération mentale qui ne la garantit justement pas. Autrement dit, on juge mal de ce que requiert un jugement pour être fondé. Par exemple, l'idée selon laquelle les rêves ont tous une signification prémonitoire est pour Kant une erreur. Elle dérive du préjugé consistant à adopter comme principe de vérité : ce qui arrive une fois arrive toujours. Ici c'est l'induction du particulier au général, voire à l'universel qui est illégitime. [...]
[...] C'est même souvent ainsi qu'un progrès en matière de vérité s'effectue : en identifiant rétroactivement la nature d'un préjugé. L'éducation et la vie publique doivent alors favoriser l'esprit critique plus que toute autre chose. Est-ce un point acquis définitivement, même en démocratie ? [...]
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