Theodor Adorno, dans sa Théorie esthétique, énonce en une formule paradoxale : « les œuvres d'art parlent à la manière des fées dans les contes. Tu veux l'Absolu ? Tu l'auras, mais il te sera inconnaissable." Si l'on applique ce mot à l'image, alors nous pouvons reconnaître que l'image d'art, l'œuvre picturale, donne à voir ce qu'aucun concept ne pourra jamais circonscrire. C'est en ce sens que l'image peut faire œuvre insigne, en tant qu'elle conduit le langage à sa limite dans la tentation qui est la sienne d'enclore le visible.
Pourtant, et là est le paradoxe, un sens est à l'œuvre dans l'image, mais qui contrevient aux conditions du discours. Parce qu'elle montre en même qu'elle représente, parce qu'elle présente là où le langage absentifie, l'image possède un singulier pouvoir qui menace la possibilité du dire. Néanmoins, une habitude tenace nous pousse à vouloir entendre l'image, saisir son sens, atteindre son message, habitude dont l'image publicitaire est l'ultime avatar en même temps que le plus puissant paradigme.
Si bien qu'il convient de s'interroger sur la pertinence et la légitimité de cette interprétation qui voit dans l'image un substitut de la communication verbale. Supposer que l'image parle implique de juger de l'image à l'aune du langage et de ses conditions. Aussi devons-nous nous interroger sur les conditions de possibilité d'une image signifiante. Peut-on dire d'une image qu'elle parle ? Autrement dit, à quelles conditions peut-on parler d'un langage visuel ? Cette question, qui porte sur le rapport du visible et du dicible, doit en même temps nous conduire à interroger les moyens qui sont à notre disposition pour exprimer l'effet qu'une image produit sur son spectateur.
[...] Comme le montre le cas du rêve, dont Freud nous a appris dans son Interprétation des rêves qu'il se formait par déplacement et condensation, l'image naît, non pas de la claire délimitation d'une figure, mais de la transformation matérielle de ses parties. Finalement, nous pourrions dire que l'image parle, mais pour autant qu'elle renonce à se soumettre au langage. Ainsi, Dante au chant XXX du Paradis, alors qu'il aborde le chœur des anges et des bienheureux, doit reconnaître que son art trouve sa limite, qu'en ces lieux il ne peut plus voir et donc plus parler. [...]
[...] Pour transmettre une information, un message doit être redondant et simple, sans quoi il ne serait pas possible de le déchiffrer. Or une image trop riche, dont l'aura capterait le regard en elle-même, risque justement d'introduire une perturbation néfaste à la transmission du sens. Finalement, pour servir de support à la reconnaissance, et donc à la transmission d'une idée, une image doit s'appauvrir jusqu'à finalement ne plus valoir par la ressemblance mimétique mais, comme un signe linguistique, par l'occasion qu'elle offre à la remémoration. [...]
[...] Prenons un dernier exemple dans le cinéma muet. Dans La passion de Jeanne d'Arc de Dreyer, ce ne se sont pas les cartons qui nous donnent à voir la passion de Jeanne, pas plus que les objets ou les décors. C'est l'image elle-même qui dit l'ineffable présence de Dieu dans l'absence de figures sur le fond, à l'arrière de Jeanne. Ce fond blanc n'est pas un simple fond blanc, il est la présentification de l'absence dont le désir de Jeanne se nourrit comme d'une source. [...]
[...] Cette dimension est définie par l'horos du Concile de Nicée II en 787. Ici se révèle non plus un rapport de reconnaissance fondé sur la visibilité mais un rapport à l'invisible dans la contemplation de l'icône. L'image, dès lors, vise son dépassement non plus vers un sens dont elle est le simple véhicule mais vers un prototype qui la légitime en tant qu'image sanctifiante, comparable en cela au type de la Croix. Or, si comme Saint Basile le note dans son Traité du Saint Esprit, l'honneur rendu à l'image remonte jusqu'au prototype alors l'erreur consisterait à ne pas s'arrêter à la personne représentée mais à vouloir y chercher un au-delà par définition inaccessible. [...]
[...] Peut-on même concevoir quelque chose comme un signe pictural ? Cet exemple de la peinture nous semble significatif du traitement réservé à l'image dans son rapport à la parole. Le XVIIe siècle français a intimement expérimenté ce questionnement, à travers la querelle du dessin et du coloris, à partir d'une réévaluation de la formule latine d'Horace : ut pictura poesis Cette formule, renversée quant à son sens original, devait soutenir l'accès de la peinture à la dignité des arts libéraux. [...]
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