Dans le langage courant, lorsque l'on dit d'une chose qu'elle est hors de portée de l'expérience, nous sous-entendons par là que nous ne pouvons en avoir aucune connaissance. C'est un fait, la corrélation, et même la connexion nécessaire entre connaissance et expérience, semble la plupart du temps évidente. Or, si nous pouvons nous passer d'expérience pour certains objets, d'où vient la connaissance que nous en avons ? On comprend ici que la réponse à ce type de question dépend d'une certaine manière de la définition de la connaissance, car si l'on estime qu'on ne peut connaître ce dont on ne peut avoir l'expérience sera à rejeter hors du domaine de la connaissance. Se poser la question des conditions de possibilité de la connaissance, c'est tenter de se doter d'un critère de démarcation entre connaissance et fantasme.
[...] Hume montre cependant qu'il s'agit là d'un abus de langage en quelque sorte. Ce que nous désignons comme connexion nécessaire entre la cause et l'effet n'est à proprement parler qu'une conjonction constante de certains objets L'argument de Hume est simple. L'idée de causalité n'est pas une idée innée qui de surcroît serait en parfaite harmonie avec le fonctionnement de la nature: il ne s'agit que d'une généralisation abusive à partir de corrélations entre phénomènes. L'apparente régularité et la répétition de ces phénomènes nous incitent à penser qu'ils sont nécessairement connectés. [...]
[...] Or nous n'avons jamais l'expérience possible. Dès lors, si nous pouvons concevoir de tels objets sans jamais en avoir eu l'expérience (et avec l'assurance que nous ne pourrons jamais en avoir l'expérience), il faut postuler que ce sont là des idées innées. Et comme, à partir de ces idées, des connaissances peuvent être élaborées et même des sciences tout entières (la géométrie pure), on peut conclure qu'il est possible de connaître ce dont on n'a pas l'expérience. Il reste cependant une question cruciale: d'où nous peuvent venir ces idées qui ne viennent pas de l'expérience? [...]
[...] Aussi, si l'on ne peut connaître ce dont on n'a pas l'expérience, parce que seule l'expérience est propre à mettre l'esprit en activité, la condition de possibilité même de l'expérience échappe à l'expérience. Les idées que l'entendement forge hors de toute expérience possible ne sont que des idées. Autrement dit, elles ne sont pas des connaissances puisqu'elles ne correspondent pas à une prise de conscience d'un fait nouveau ou d'une nouvelle mais ne sont que le résultat du jeu de l'activité de l'esprit. Néanmoins, cette activité même qui empêche de réduire la connaissance à l'expérience est l'activité cognitive de l'esprit. [...]
[...] La réflexion elle-même n'est que sensation Condillac va plus loin. Pour lui, cette idée de liberté de la réflexion vis-à-vis des sens n'est qu'une illusion rétrospective. Les opérations les plus abstraites de l'esprit, comme les principes fondamentaux de la logique (par exemple le principe de contradiction ou celui de tiers exclu), ne sont elles-mêmes que des habitudes prises par l'esprit dans sa fréquentation avec les sens. Pour être plus exact même et respecter l'esprit de Condillac, il faudrait dire que le terme même d'esprit n'est qu'un mot utile pour désigner l'ensemble des sensations et de leurs interactions. [...]
[...] C'est pourquoi ils se sont attachés à tenter de retranscrire la genèse de ces idées que Descartes avait posées comme étant innées. Ainsi Hume, dans le traité de la nature humaine, montre-t-il que l'idée de causalité est tirée de l'expérience En choisissant de s'attaquer à l'idée de causalité, Hume ne s'y trompe pas. L'idée même de l'enchaînement nécessaire de la cause et de l'effet ne peut être l'objet d'une expérience. Aussi un rationaliste strict pourrait-il la mettre rapidement au rang des idées innées. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture