Vivre sans passé semble individuellement impossible : c'est bien du passé que provient la majeure partie des connaissances qui me sont utiles pour, très quotidiennement, agir. L'amnésique dans cette optique ne peut être un modèle de comportement. En va-t-il de même au niveau collectif? Le présent d'une société, pour être abordé efficacement, nécessite-t-il une certaine connaissance de ce qu'il l'a précédé ? Quelle qu'en soit la dimension que l'on considère, comprendre le présent est-il à notre portée si l'on ignore le passé?
L'analyse de la temporalité souligne fréquemment le caractère introuvable du présent, qui ne serait rien de plus que le point de contact entre le passé et le futur. Il suffit en effet de prononcer le mot « présent » et ainsi d'y consacrer une durée, même très brève, pour s'apercevoir que l'articulation de sa deuxième syllabe renvoie déjà la première au passé.
[...] L'ambition de la discipline historique est de nous donner les moyens de comprendre le présent à partir des faits du passé. Ce qui suppose qu'elle parvient à découvrir des causalités liant le passé d'une société à son présent. Sur le plan individuel, ce que je suis s'explique par ce que j'ai été, y compris lorsqu'il s'agit de rendre compte de mes malaises, puisque c'est bien dans le passé le plus enfui. Il n'existe donc de présent, quel qu'en soit le domaine considéré, qu'à partir de ce qui a été. [...]
[...] De plus, cette fascination risque de nous rendre aveugles à ce qu'il y a de véritablement nouveau dans le présent. C'st sur ce dernier point qu'insiste particulièrement Bergson : en affirmant qu'il n'y a de vie que là ou il a création, et donc émergence d'inédit, il souligne que du présent, tout n'est pas inexplicable. Si en effet ne régnait dans l'univers humain qu'un déterminisme strict, notre monde serait condamné à une répétition infinie, le présent serait entièrement prévisible et n'aurait plu en tant que tel aucune originalité. [...]
[...] Mais ce serait du même coup s'interdire de concevoir l'avenir, puisque celui-ci n'existe qu'à partir de la transformation du présent en passé. La conscience serait dès lors aux prises avec un univers d'autant plus compréhensible qu´elle serait, elle, aussi dépourvue de continuité : face à un monde constitué de la juxtaposition interminable d'états non liés entre eux se trouverait une conscience elle-même incapable d'établir la moindre relation sauver le présent Affirmer que seule la continuité permet la compréhension et qu'en conséquence on ne peut ignorer le passé si l'on prétend comprendre le présent, c'est-à-dire l'aborder comme conséquence de ce qui l'a précédé, ne doit pas cependant inviter à considérer que l'interprétation du présent en épuise la réalité. [...]
[...] Or, dans ce présent, peuvent survenir des événements qui paraissent incompréhensibles. Qu'il s'agisse de la révolte de prisonniers dans un établissement pénitentiaire, d'un changement brutal d'orientation politique dans un pays lointain, d'un coup d'État dont on apprend qu'il vient de se dérouler en Afrique de tels événements me surprennent et me déroutent dès lors que je n'ai pas les moyens de les comprendre et de les interpréter, c'est-à-dire de les situer dans une histoire qui leur confère une signification. Par contre, le suicide d'un voisin dont je connaissais depuis des mois les difficultés me parait moins incompréhensible, tout comme la fermeture d'une usine dont je savais que la production ne correspondait plus depuis longtemps aux exigences du marché. [...]
[...] Peut-on comprendre le présent si l'on ignore le passé ? Vivre sans passé semble individuellement impossible : c'est bien du passé que provient la majeure partie des connaissances qui me sont utiles pour, très quotidiennement, agir. L'amnésique dans cette optique ne peut être un modèle de comportement. En va-t-il de même au niveau collectif ?Le présent d'une société, pour être abordé efficacement, nécessite-t-il une certaine connaissance de ce qui l'a précédé ? Quelle qu'en soit la dimension que l'on considère, comprendre le présent est-il à notre portée si l'on ignore le passé ? [...]
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