Peut, on, avoir, peur, de, rien
Le langage commun est riche d'expressions telles que « ne pas avoir froid aux yeux », ou encore « sans peur et sans reproche », cependant l'une d'entre elle nous fait sourire plus que les autres « n'avoir peur de rien ». A première vue cela semble insensé. Personne ne peut n'avoir peur de rien ! Pourtant peu à peu, l'idée fait son chemin, souvent, niant l'évidence, nous énumérons nos peurs, en les disqualifiant, pour se retrouver vierge de toute appréhension. Mais l'entreprise nous laisse insatisfaite : on craint de se mentir à soi-même. En effet, la question « peut-on n'avoir peur de rien ? » se pose de manière urgente. De quoi ai-je peur ? De m'engager dans une dissertation, du peu de temps qu'il me reste ? tout semble pouvoir être l'objet d'une peur. Ainsi il apparaît que la peur nous interpelle de quelque façon que je l'interroge.
Peut-on n'avoir peur de rien ? Cette question nous interroge directement sur la perception, et de soi, et de l'Autre. Dans quelle approche de la réalité la peur trouve-t-elle une place pour naître ? Que traduit, qu'exprime la peur : quel est son sens?
Quel est l'objet de la peur ? A quoi se rapporte la peur dans l'Autre, en quoi est-elle liée aux possibilités du réel ? En quoi notre peur nous pose le problème du sens que nous donnons à la réalité, à ce qui est Autre ?
[...] N'avoir peur de rien est une perte de contact avec la réalité. Nous avons vu que la peur naissait dans l'inconnu, les possibles du réel nier tous ces aspects inhérents à l'Autre est la nier : nous l'avons vu pour la Shoah la souffrance et l'horreur éternelle remplace la réalité : dans ce monde effroyable, même la peur ne survit pas. Et ce en même temps qu'elle subsiste en étant immédiate, permanente. La peur ne peut cesser tant que l'altérité subsiste. [...]
[...] La peur dépend de l'Autre, en ce sens que celui-ci évolue. Les possibles du réel impliquent que la peur ne prend de sens que par l'existence du futur. L'inconnu de la peur est le temps : c'est celui-ci qui permet l'existence de l'Autre. Le temps est la condition de réalisation de l'évolution de ce qui nous environne, mais aussi ce qui fait que je serai bientôt autre que ce que je suis. Comme ce qui m'entoure évolue, je suis soumis à la loi du temps : c'est notamment ici que se constitue la peur de la mort, de la dégénérescence, l'angoisse de la vieillesse. [...]
[...] Sur des planches il concentre et met à distance, unifie ce que nous percevons dans notre antroposphère Mais alors pourquoi ne pouvons-nous pas avoir peur de cette lame que Phèdre veut se planter dans le cœur, là-bas sur la scène, pourquoi lorsque Les Corbeaux prennent leur volent, je sais que je ne suis pas menacé et ne peut-être effrayé que si je me prends au jeu ? Parce que ce que je vois est fini cohérent, il n'y a pas de place pour moi. Cette réalité alternative a un sens précis qui ne me concerne que parce qu'il m'est totalement extérieur. Or, la peur naît d'une superposition de nos projections sur la réalité, afin de combler l'inconnu, ce qui n'a pas encore de sens. [...]
[...] Mais aussi, parce que la peur est hypothétique. L'objet de la peur est donc complexe en même temps qu'inconnu, et ce nécessairement. Si je connaissais l'objet précis de ma peur, j'éprouverais de l'appréhension. La peur est un désagrément prévisible et inconnu. De plus, ce caractère récurent intervient lui aussi pour rendre l'Objet de la peur plus complexe. Or, n'avoir peur de rien apparaît comme nier cet inconnu, en faire quelque chose de statique, en nier la complexité dynamique. Bien plus ce serait la relation essentielle qui existe entre la peur et l'imaginaire. [...]
[...] Je perçois un Objet. Il est en métal avec un bout arrondi et un autre plus affilé. Je me représente un couteau Le nom est représentation car il confère des qualités. Irrémédiablement, cette représentation est liée à l'imaginaire. Lorsque je pense couteau, je pense à ce que je peux en faire, à un bon steak (mais aussi à l'ESB par association d'idées au sang qui coulera si je me coupe, si je le tue. La peur implique une représentation car elle dépend des possibles, des caractères de ce à quoi je suis confronté. [...]
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