« La relation au visage est d'emblée éthique », affirmait Emmanuel Levinas dans Ethique et Infini. Selon le philosophe, le visage d'autrui qui se manifeste à mon regard est l'incarnation symbolique de l'injonction biblique : « Tu ne tueras point ». Par-delà toutes les conventions sociales, la relation à autrui est d'abord exigence morale : parce que l'expérience de la différence entre autrui et moi m'enrichit et qu'il est de ma responsabilité de respecter cette altérité, l'interdit du meurtre vaut comme la première règle éthique. D'emblée, il semble que l'atteinte portée à autrui est proscrite par son immoralité : toute forme de violence paraît en inadéquation avec les principes éthiques.
Pourtant, le recours à la violence s'avère légitimé dans de nombreux cas. Qu'elles soient de l'ordre de l'individu, par exemple la « légitime défense », ou de l'Etat, qui peut posséder des armes de « dissuasion massive », la menace et la défense sont d'une manière tolérées. La violence peut aussi s'incarner dans la revendication collective : en 2008, l'association Reporters Sans Frontières reprenait à son compte la phrase de Victor Hugo : « Si vous en avez la force, il nous reste le droit » pour encourager au boycott des Jeux Olympiques de Pékin.
Supposer l'exercice d'une « violence légitime » relève du paradoxe : même si l'histoire et l'actualité en vérifient l'existence, il semble pourtant que la juridiction et la morale proscrivent toute atteinte à l'intégrité de l'individu. Dès lors, se demander s'il est possible de concevoir une violence légitime revient à s'interroger sur les acteurs et les victimes d'une telle forme de violence.
[...] Au début du XXème siècle, Max Weber a insisté sur le fait que le pouvoir de l'Etat ne peut être contesté : Il faut concevoir l'Etat contemporain comme une communauté humaine qui, dans les limites d'un territoire déterminé ( . ) revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime (Le Savant et le Politique, 1919). Aux yeux de Weber, sans la violence, l'Etat disparaîtrait : c'est la raison pour laquelle il reprend la phrase de Trotsky, Tout Etat est fondé sur la force. [...]
[...] Le droit naturel se constitue alors comme norme de justice. Les lois humaines ne sont pas l'instance normative suprême : déjà dans l'Antiquité, notamment pour les Stoïciens, il existe une norme transcendante qui permet d'évaluer le droit positif, un droit qui passe avant toute puissance humaine. Après la Seconde Guerre mondiale, cette tradition d'un droit moralement juste, s'imposant inconditionnellement à la conscience, a été réintégrée dans le Préambule de notre Constitution : ( . ) afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. [...]
[...] S'il y a violence contre l'action de l'Etat, elle ne pourrait être légitimée que si elle se fait au nom d'une idée, d'un principe, voire du bien. Mais nous pouvons alors nous interroger : en quoi consiste ce bien qui viendrait supplanter les lois, aussi iniques soient-elles ? Dans Droit naturel et Histoire, Léo Strauss lui donnera le mot d'« étalon : S'il n'y a pas d'étalons plus élevés que l'idéal de notre société, nous sommes parfaitement incapables de prendre devant lui le recul nécessaire au jugement critique. [...]
[...] Pour Hannah Arendt, la violence ne saura être légitime à proprement parler. Dans un de ses textes intitulés Reflections on Violence, la philosophe écrit : Power is indeed of the essence of all government, but violence is not. Violence is by nature instrumental; like all means, it always stands in need of guidance and justification through the end it pursues. Parce qu'elle est instrumentale par nature, la violence est destructrice de tout pouvoir concerté et donc des conditions de possibilité de toute communauté humaine. [...]
[...] Peut-être est-ce là la différence fondamentale entre le Printemps de Prague et Mai-68. Dans tous les cas, cette violence se révèle parfois avec recul légitimée par les circonstances dans lesquelles le droit, la liberté et le bien sont mis en danger. Aux premiers abords, la violence est apparue comme une atteinte à la morale et à l'individu, susceptible de conduire à la loi du plus fort ou à la dégénérescence de la maîtrise technique. Toutefois, l'Etat s'est révélé être le monopole de la violence légitime c'est-à-dire qu'il est, par sa souveraineté, capable d'imposer son autorité par la violence si les circonstances le justifient. [...]
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