Rousseau, perte de la mémoire, maladies dégénératives, homme mémorieux, l'entretien infini, Théophile Gauthier, émaux et camées, Kierkegaard, Jankélévitch, Ricoeur
Funès, le héros de la nouvelle Funès ou la mémoire dans l'ouvrage Fictions de Borges est doté d'une mémoire eidétique impressionnante, il peut se rappeler très précisément la forme des nuages dans le ciel du 30 avril 1882. Seulement, cette mémoire hypertrophiée l'accable et l'empêche de mener une vie bonne. Aussi, Funès rêverait-il de pouvoir oublier quelque peu cette mémoire qu'il considère comme un "tas d'ordures". Funès aurait donc plutôt à y gagner en perdant la mémoire.
[...] La perte de mémoire, la mise en péril de l'identité du soi ?? a vu que la disparition progressive de la force d'un souvenir douloureux pouvait libérer l'homme. Seulement, la perte de mémoire n'est bien souvent pas choisie et l'homme perd d'ailleurs plus facilement les souvenirs heureux que les souvenirs traumatiques qui persistent souvent longtemps de manière nette. Ainsi, la perte de mémoire peut susciter une certaine mélancolie et une certaine tristesse, car l'homme a l'impression d'oublier une partie de lui-même contre son gré. [...]
[...] Cette perte du souvenir douloureux peut être alors considérée comme un gain éthique ou il permet de ne plus vivre dans la peur ou la mélancolie. Ainsi, la perte de mémoire est comme une baisse progressive de la douleur associée à un événement passé, il s'agit d'une perte de souffrance. Par exemple, le deuil est un acte de mémoire envers la personne décédée ?; par l'effet du temps, l'homme développe un rapport moins émotionnel face à la blessure de la mort du proche. Ainsi, le souvenir du deuil prend fin, la blessure émotionnelle de la mémoire s'estompe. [...]
[...] Ainsi, Montaigne dans son Essai II « ?Du Démentir ?» explique que seul un homme ayant une mémoire très performante est capable du mensonge, car pour cela il faut pouvoir reconstruire une fausse réalité qui soit vraisemblable, cela implique donc d'inventer des enchaînements de causes à effets rationnels qui coïncident entre eux. On a donc plus à s'inquiéter de l'homme mémorieux qui peut retenir beaucoup plutôt que de l'homme oublieux. L'homme qui perd sa mémoire ne risque pas de perdre sa morale, contrairement à celui qui peut tout retenir, mais perd la confiance des autres. [...]
[...] Mais le danger de la perte de mémoire peut s'avérer plus grave encore s'il devient chronique. Dès lors c'est l'identité même de l'homme qui est en jeu. Ribot, dans Les Maladies de la Mémoire explique comment les maladies dégénératives affectent l'homme mettent son identité en perdition : « ?D'abord, le complexe et le récent disparaissent, puis l'ancien et le simple ?». La perte de mémoire est progressive, au début l'homme, est handicapé au quotidien par une mémoire pratique défaillante, mais petit à petit, des partielles de son identité disparaissent. [...]
[...] Comment sortir alors de cette impasse de la perte de mémoire nécessaire, mais aussi mortifère ?? III. Une mémoire oublieuse ne lutte-t-elle pas contre la perdition de la mémoire ?? La mémoire collective ne doit pas s'opposer à l'oubli, il faudrait penser une mémoire intrinsèquement fondée sur l'oubli. En effet, une mémoire qui s'enlise dans de multiples représentations du passé ne saurait être bonne pour l'homme et au contraire l'enfermerait dans des représentations sans fondements voire sacralisées. Dans sa Seconde Considération Inactuelle, Nietzsche nous invite donc à opérer une « ?digestion ?» du passé et à conserver une mémoire tournée vers le présent et l'action, car « ?toute action exige l'oubli ?». [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture