Dire que « peindre n'est pas dépeindre, écrire n'est pas décrire » ouvre dès le départ un double enjeu pour une réflexion sur la création artistique : celui d'une définition, par la négative, de la nature même de l'art, et celui d'une réfutation de l'acception commune de l'art vu comme reproduction ou imitation de la réalité, réfutation fondée sur le jeu grammatical des préfixes.
Nous sommes donc amenés dans un premier temps à nous interroger sur la nature même de l'art et de la création, ce qui dans un second temps, nous conduira à nous interroger sur le rapport que l'art entretient avec le réel. Enfin, le réflexion se basera sur un rapport plus exclusif, plus interne de l'art, rapport grâce auquel l'art s'inscrit dans la réalité en étant non plus sa reproduction ou son imitation mais sa révélation, comme une exégèse de la réalité en « nous donnant à voir les choses » (Paul Eluard).
[...] Le langage est une fin et non un moyen au service d'une simple transcription de la réalité. La poésie crée un état d'absence écrit Julien Gracq, lui restituant par là son essence et son existence propre. Cette phrase de Julien Gracq nous permet de renforcer la défense de l'écriture et plus spécialement de restituer au langage poétique sa pureté originelle. C'est rendre au langage sa valeur intrinsèque, sa beauté première dénuée de toute instrumentalisation et de toute finalité pratique pour lui reconnaître une essence propre qui n'est pas une restitution du réel. [...]
[...] Au contraire, l'art ne raconte rien, et n'a pas pour finalité de parler de quelque chose, mais tout simplement, en revanche, de parler, de manière intransitive. Toujours selon la pensée kantienne, nous pouvons affirmer que l'art ne parle de rien, parce qu'il n'est fondé sur aucun concept et n'a aucun concept pour objet final, auquel cas la peinture serait réduite à dépeindre et l'écriture à décrire Bien plus qu'assigner un concept pour finalité ou fondement à la création artistique et à l'œuvre serait le ramener à une utilité pratique, le réduire à véhiculer un message, ce serait passer totalement à côté de la véritable essence de l'art et manquer sa dimension essentielle, car bien plus que le réduire à la copie de la réalité, ce serait le réduire à copier uniquement l'apparence de la réalité. [...]
[...] Dans l'Esthétique, Hegel montre qu'il n'est pas possible de penser sans les mots, mais bien plus qu'un outil de communication, qu'une simple expression et traduction de la pensée, le langage a une essence propre ; le langage, écrit en l'occurrence, est la manifestation de la pensée et de l'imagination, ce qui fait qu'un auteur choisit un mot plus qu'un autre, ou ce qui fait aussi que l'on écrive et lise de la poésie, qui est façonnée par et pour le langage. Encore une fois, affirmer qu'« écrire n'est pas décrire restitue bien cette essence première de l'art dont la matière est la réalité, mais dont la finalité n'en est pas la restitution immédiate. Comme le langage de la littérature et de la poésie, l'art en général est à lui-même sa propre fin et non pas un outil ou un instrument. [...]
[...] Si l'art doit puiser dans la réalité les éléments tangibles pour exister, ce n'est pas pour autant leur restitution immédiate qui constitue l'art ni ce qui nous y cherchons, tant s'en faut. Bien plus que ce qu'un tableau nous montre ou ce qu'un récit nous raconte, c'est la manière dont il nous le montre ou le raconte que nous apprécions, car il nous le donne à voir. Dans le cas de l'écriture, nous ne cherchons pas dans un texte une description de la réalité (bien au contraire, la littérature la plupart du temps permet aux gens de s'évader, comme l'art en général). [...]
[...] L'œuvre d'art exclut tout désir selon Hegel, et de même chez Kant, l'œuvre n'est pas appréciée selon un intérêt que le spectateur ou l'artiste trouve dans l'oeuvre, mais seulement par une pure contemplation de la raison. L'art ne raconte pas, ni ne reproduit l'apparente réalité des choses ; son existence et sa beauté ne sont fonction ni de ce dont il s'inspire ni de sa ressemblance avec la matière de son inspiration. L'art, peinture ou écriture, est le prisme à travers lequel l'artiste regarde et comprend la réalité pour nous la restituer dans son langage et pour l'offrir au spectateur au-delà de l'apparence : l'art ne décrit pas ou ne dépeint pas, il donne à voir les choses de l'apparente réalité. [...]
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