Portée à l'extrême, l'impuissance relative de la volonté dans le christianisme devient une hérésie. Ne fut-ce pas la thèse des molinistes, condamnée par le décret romain Caelestis Pastor ? Si seule la volonté de Dieu agit non seulement in nobis mais encore sine nobis, aucune volonté ne serait plus pécheresse... C'est pourquoi il fallut bien poser une certaine puissance de la volonté humaine, et sa totale liberté. Affirmer une véritable puissance du sujet, celle même qui est refusée dans la théologie chrétienne au nom de la toute-puissance divine, suppose que cette puissance soit déposée tout entière dans la liberté de la volonté. C'est bien dans la philosophie de Descartes qu'une telle identification de la volonté à la liberté a lieu, la volonté devenant une puissance indivise à l'image de la Volonté divine.
[...] Les femmes ne sont pas totalement exclues de la sôphrosunê, mais elles ne peuvent, dans le fond, accéder à la moralité qu'en endossant des valeurs viriles. On comprend sans difficulté la cohérence d'une telle conception éthique avec une structure politique qui ne reconnaît qu'aux hommes l'exercice légitime du pouvoir. On peut certes moquer la hiérarchie sexuelle antique, mais il faut au moins reconnaître que le monde grec a su remarquablement penser tout ensemble la sexualité, la politique, le rapport à soi et à autrui comme pouvoir. [...]
[...] Même le modèle d'origine platonicienne de la metropatheia ou de la temperentia n'a plus de sens. 2. La joie cartésienne La morale cartésienne n'est donc pas celle de la demi-mesure ou de la simple et un peu morne tempérance C'est que le fond de l'être humain est bien ici la joie : n'est-elle pas la première passion éprouvée par l'individu au cours de son développement, celle d'éprouver l'union d'une âme et d'un corps bien disposé (Lettre à Chanut du 1er février 1647) ? [...]
[...] ) L'idéalisme interprète l'être de l'étant à partir du Moi, de la liberté. La prise du pouvoir par le sujet chez Descartes peut être opposée à la pensée de Spinoza, qui semble bien, lui, poursuivre quelques thèmes profondément stoïciens. L'oikéiôsis stoïcienne, cette intuition immédiate du propre (l'homme se saisissant comme proprement humain) était aussi un processus d'appropriation progressive de soi, dans une identification finale avec la totalité de la Nature qui n'est d'autre alors que la Sagesse même. Ce que le sage aura alors atteint, ce sera une parfaite autarcie, une affirmation de soi réussie : plus rien ne pourra arriver contre sa volonté, puisqu'il aura appris à accueillir dans sa volonté tout ce qui arrive. [...]
[...] Chose étonnante : c'est dans une passion que Descartes dépose le cœur de la moralité ! Mais cette passion qui permet de maîtriser les passions a quelque chose de pur en elle : la liberté. La générosité va en effet bien au-delà de la simple gestion des passions : elle exprime l'idée rationnelle selon laquelle la liberté est la condition de possibilité de la volonté, et la volonté la condition de réalisation de notre liberté. La générosité n'est rien d'autre que la façon dont nous devons nous montrer fiers et dignes de notre liberté : elle est la résolution de ne jamais manquer de liberté, c'est-à-dire de ne jamais manquer à notre liberté. [...]
[...] Nous voici donc de plein pied avec la seconde priorité. La pensée contemporaine doit sans cesse relever en matière d'éthique le défi des critiques radicales du début du siècle, comme celle d'A.J.Ayer, qui soutenait Truth and Logic (1936, 1956) qu'il faut faire notre deuil d'une vérité concernant les questions pratiques. Si l'on admet le diagnostic proposé par Habermas dans Morale et communication (1983, 1986), la réflexion éthique contemporaine serait partagée en deux camps : celui du cognitivisme éthique, qui défend dans une tradition toute kantienne la possibilité d'une vérité en matière pratique, celui de l'anti- cognitivisme, ou encore du subjectivisme, qui récuse toute consistance rationnelle absolue dans la pratique et nous invite à penser des solutions alternatives comme l'émotivisme moral, ou le décisionnisme, renvoyant donc les jugements moraux à des expériences antérationnelles ou à des choix privés pour des formes de vie. [...]
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