« L'homme est nécessairement toujours soumis aux passions » écrivait Spinoza dans l'Ethique… C'est un fait : la passion est inévitable. Qu'on la rejette ou que l'on s'y adonne, tout le monde a tendance à se passionner, éventuellement malgré lui. La passion, qui se définit comme une très forte inclination de l'esprit vers un objet, comme un intérêt qui finit par dominer la volonté et la raison, est en effet un phénomène subi ; l'expression « se passionner » est d'ailleurs trompeuse, puisque, bien souvent, la passion investit d'elle-même l'esprit ou l'âme : le déclenchement d'une passion n'est pas volontaire.
Gardant ceci à l'esprit, que peut-on en conclure quant aux liens entre la passion et l'action ? Si la passion m'investit malgré moi et vient avilir ma raison, je ne suis plus vraiment responsable de mes actes ; je n'agis plus qu'en fonction de cette passion et de son objet, et, dès lors, je suis passif dans tout ce qui ne rentre pas dans le champ de ma passion. Pourtant, on peut voir dans une passion les fondements d'une force nouvelle, qui mène à l'action. Les deux cas de figure sont envisageables et peuvent être concomitants. Mais, l'un l'emporte-t-il sur l'autre ? Globalement, la passion mène-t-elle à la passivité, ou conduit-elle à l'action ?
En fait, il semble que l'analyse des liens entre passion et action soit, avant tout, une analyse du sens du terme « passion » : les liens entre les deux concepts sont dépendants de la définition que l'on donne de la passion, définition qui peut énormément varier selon que l'on se place dans tel ou tel contexte synchronique. L'acception précitée correspond au sens commun, au sens que l'on donne aujourd'hui à la passion dans le langage courant. Ceci étant, il s'agira de mener à bien un parcours sémantique dont l'arrivée consistera nécessairement à confronter le concept d'action avec ce sens commun, pour finalement se rendre compte qu'une approche psychanalytique peut permettre d'aller au-delà du débat entre la tradition philosophique qui voit la passion et l'action comme nécessairement opposées, et les défenseurs d'une passion vue comme roborative.
[...] Il faut donc distinguer les fonctions de l'âme et celles du corps ; la passion résulte de l'action du corps sur l'âme. De là provient la définition cartésienne de la passion : on peut généralement nommer passions toutes les pensées qui sont [ ] excitées en l'âme sans le secours de sa volonté, et par conséquent, sans aucune action qui vienne d'elle, par les seules impressions qui sont dans le cerveau, car tout ce qui n'est pas action est passion. [...]
[...] Il serait alors possible de faire une sorte de typologie des personnes, en fonction de leur réaction face à la passion : ainsi, le héros est celui qui est prêt à mener véhémentement sa passion jusqu'à sa conclusion logique, c'est-à-dire la mort pour l'objet de cette passion ; le saint voue sa vie à une passion particulière : la passion de Dieu, ou la passion de la religion ; le sage, quant à lui, refuse la passion au nom de la raison ; le fou est celui qui ne connaît ni la passion ni la raison ; enfin, les gens ordinaires seraient composés d'un peu de ces quatre personnalités, succombant parfois à la passion tel le héros, y résistant d'autres fois comme le sage stoïcien. La passion serait alors action ou passivité, selon les cas. [...]
[...] Il ne saurait donc y avoir disjonction, mais au contraire conjonction, entre le corps et l'âme (ce que Descartes avait déjà pressenti avec l'idée de l'union substantielle de l'âme et du corps ainsi qu'entre la passion et l'action. En définitive, la dérive sémantique du terme de passion fait que les liens entre passion et action ont changé. L'analyse de leurs interactions se doit donc d'être diachronique. En termes de linguistique saussurienne, on dirait que le signifiant n'a pas changé, contrairement au signifié, dont le sens s'est modifié. [...]
[...] Le moi est assiégé par des désirs émanant de l'inconscient, qui sont une caractéristique intrinsèque de l'homme. Ainsi, pour reprendre l'expression de Deleuze, l'homme est une machine désirante Tout comme la passion amoureuse trouve son origine dans le manque selon Planton, les désirs sont, en général, appréhendés comme une réponse au manque par les théoriciens de la psychanalyse ; le désir naît du manque écrit effectivement Lacan. Ainsi, malgré l'inanité de cette quête, l'homme est toujours à la recherche de l'objet manquant de l'objet imaginaire dont la possession lui permettrait d'accéder à une totalité. [...]
[...] On croirait faire injure à la raison, si l'on disait un mot en faveur de ses rivales. Cependant il n'y a que les passions, et les grandes passions, qui puissent élever l'âme aux grandes choses. La rupture est consommée, et le mouvement romantique ne fera qu'approfondir l'idée que les passions puissent être positives, fortifiantes pour le passionné, idée que Diderot évoque ici. Vues sous cet angle, les passions sont sources d'action : elles donnent des forces, en donnant du courage comme écrivait Voltaire. [...]
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