La problématique d'ensemble que pose ce texte est celle de la définition même du moi (ego), en tant que sujet ou personne. Pascal, qui notera ailleurs que "le moi est haïssable", s'interroge ici sur ce qui peut en constituer l'essence, voire même si cette essence ne serait pas inaccessible à la conscience de soi et du soi des autres. En clair, c'est tout le problème de la subjectivité qui se dresse à nous, quel que soit l'angle par lequel nous essayons de définir ce qu'est notre "personnalité" (notre être personnel propre) (...)
[...] Cette idée surprenante d'injustice peut s'expliquer par le fait que l'on pourrait par exemple passer à côté de quelqu'un sous le prétexte que ses mérites personnels sont peut-être éphémères, nous conduisant à oublier de les apprécier au moment où ils se déploient. Or, la sagesse ne tient- elle pas plutôt à l'art de savoir accepter les qualités de quelqu'un - que ces qualités soient plus ou moins agréables à vivre, du reste - comme constitutives de ce qu'elle est au moment où nous existons avec elle. [...]
[...] Mais alors, qui est ce moi de la personne au-delà (ou en deçà) de son apparence corporelle ? Réside-t-il plutôt dans ses qualités psychologiques comme la mémoire ou l'intelligence, le fait de bien penser ou d'avoir de sains jugements? Une fois dépassée la qualité physique voire sociale que me présente quelqu'un, nous disons que nous l'aimons pour lui-même, et que, même défiguré ou ruiné, nous continuerons de l'aimer. Dans ce cas, nous supposons que nous apprécions l'être interne et ce qu'il est en soi. [...]
[...] Le physique n'est donc en rien le calque fidèle de l'intériorité d'une personne, puisqu'un beau visage (Dorian Gray chez Oscar Wilde par exemple2) peut être le masque d'un fond noir et scélérat. Le masque du visage n'est donc pas autre chose qu'une sorte d'illusion éphémère et qui renvoie au piège d'un amour qui s'arrêterait à lui. La dimension morale, bien qu'implicite, est évidente ici. Enfin, on peut encore penser à Descartes, chez qui les sens ne sont pas à même de nous donner la vérité: en ce sens. la beauté n'est qu'une estimation sensorielle et non une connaissance de l'autre faisant appel à la conscience. [...]
[...] Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme? et comment aimer le corps ou 101 l'âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont périssables? Car aimerait-on la substance de l'âme d'une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Blaise PASCAL, Pensées (1670) (art. §.323, édition GF., p.141). [...]
[...] Déjà Descartes disait qu'en dehors de la conscience, des hommes marchant dans la rue ne sont de prime abord que des manteaux et des chapeaux Bref, en tant que corps vu de loin, je ne suis rien qu'une silhouette, ce à quoi les régimes totalitaires s'acharneront d'ailleurs à réduire les hommes, uniformisés et broyés dans les masses. D'une personne étrangère aperçue, nous ne sommes donc pas tenus d'en déduire qu'il s'agit bel et bien d'une personne. Bien sûr, diront certains, nous savons qu'il ne s'agit pas de mannequins, encore qu'il se pourrait qu'ils le fussent. Mais par l'indifférence même d'un regard distant qui demeure comme à la périphérie de l'être vu, nous ne faisons que survoler» un personnage social sans saisir la personne qui. est la sienne. [...]
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