Il faut sans doute partir de ce qui est appris, quand on apprend à parler. La langue est un système de signes, ce qui est appris, ce sont donc des signes linguistiques, dont la caractéristique essentielle, si nous suivons Saussure, est qu'ils sont arbitraires. Que s'ensuit-il du fait qu'apprendre à parler, c'est apprendre à user de signes arbitraires ? Insistons d'abord sur le caractère arbitraire et demandons-nous ce que cette acquisition implique (...)
[...] Ce qui est appris dans la langue, c'est ce rapport que l'on ne peut inventer ou deviner. En effet, rien de la chose ne désigne son nom. Le soleil ne s'appelle pas soleil parce qu'il brille. Mais ajoutons encore que les onomatopées ou les exclamations elles-mêmes arbitraires : au français 'aïe' correspond l'allemand De sorte que l'on peut dire que chaque chose ne porte son nom qu'en vertu d'un accord tacite, d'un contrat linguistique, comme en témoigne la diversité des langues. [...]
[...] Mais soulignons surtout que le signe mobile transforme l'intelligence qui apprend à le mobiliser. Apprendre à parler, c'est apprendre à étendre le sens des mots, c'est apprendre à s'étendre des choses aux idées. Cet apprentissage est proprement ce qui autorise l'intelligence à se dessaisir de ce rapport intéressé qu'elle a à la réalité, à devenir libre par rapport à tout impératif pratique. C'est parce que ce sont des signes mobiles, libres que l'on devient capable d'inventivité et de liberté. Si apprendre à parler, c'est certes apprendre des opinions, et aussi méconnaître le monde comme soi-même, il faut noter alors que c'est moins apprendre à ne pas connaître qu'apprendre à mal connaître. [...]
[...] Car on peut aussi apprendre à marcher, apprendre le russe, l'algèbre. Apprendre sa langue maternelle, apprendre une langue étrangère ou apprendre la science mathématique, est-ce que cela relève du même mode d'apprentissage ? On peut déjà distinguer le fait d'apprendre à parler et d'apprendre à compter. Dans ce dernier cas, en même temps que l'on apprend, on nous enseigne l'intelligence de ce que l'on apprend, on nous apprend les raisons qui fondent la science algébrique. Il faut ici reprendre la distinction de Platon entre épistémè et technè. [...]
[...] Cette facultés de représentation autorise une faculté d'abstraction, une capacité à conceptualiser. Accéder au signe et en comprendre la signification, c'est apprendre un concept, et apprendre à conceptualiser, c'est-à-dire à distinguer le mot de la chose singulière, le concept de l'objet concret qui n'est qu'un exemplaire. C'est donc la fonction conceptuelle qui s'éveille chez l'enfant lorsqu'il apprend à parler, il se dégage d'une immédiateté sensible. Lorsque l'enfant apprend a nommer les choses singulières, il ne leur donne pas un nom propre, mais un nom commun, le ceci qu'il nomme en un ceci universel. [...]
[...] La mobilité du signe, par son excès sur la réalité, autorise l'intelligence à ne pas rester river à la réalité désignée, mais à se replier sur elle-même pour le pensée de façon désintéressée. IV. Apprendre à parler, c'est apprendre à penser. Mais le langage autorise-t-il à penser le monde de façon désintéressée tel qu'il est ? Apprendre à parler, est-ce apprendre à se représenter un monde neutre que l'on pourrait mêmement réfléchir quelque soit la langue que l'on apprend ? Ou bien apprendre à parler, est-ce apprendre à voir et à penser le monde d'une manière déterminée ? [...]
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