Lorsque nous interpellons un inconnu en lui demandant pardon, s'agit-il ici le plus souvent de l'affirmation d'un véritable pardon ? Ou s'agit-il d'une manière de nous demander à nous même de nous absoudre à bon compte d'un manquement que nous aurions commis l'encontre d'un tiers ? Ce qui semble fonder ou donner son sens au pardon c'est donc l'intention de ses auteurs, de celui qui le demande et de celui qui l'offre. Comment doit- on- t-on comprendre cette intention et la pureté de celle-ci est –elle possible ?
[...] Faut-il penser qu'on oubli en pardonnant ou bien plutôt qu'on purifie ce qui fut outragé par la faute commise ? Comme l'explique Derrida dans Pardonner, la nature du pardon ne peut se déterminer en termes d'essence, car celui-ci se trouve conditionné par la nécessité de le considérer comme oubli ou effacement de la mémoire de celui qui l'offre. Dans le pardon, on demande donc l'effacement de la mémoire, afin que celui-ci revête le caractère sacré d'une absolution. Or, le pardon n'est possible que dans le rapport d'une victime à un coupable, au travers de la manifestation de la faute qui le rend légitime dans son affirmation. [...]
[...] Il existe donc deux types de pardon, le premier est impur, car il n'exprime que la norme, le second est pur car il exprime de façon absolue son impossibilité d'être conditionné par une norme. Or pour Derrida, cet acte pur semble impossible, car il se constitue en inconditionnalité radicale. Je ne peux en effet pardonner que ce qui m'apparaît comme pardonnable, du point de vue rationnel, c'est-à-dire du point de vue de la légalité de la norme. Le problème fondamental touche ici à la question de l'impardonnable comme condition du pardon. Tout pardon de l'impardonnable reviendrait en effet à défaire la signification du pardon par rapport à sa norme. [...]
[...] La grâce ne procède pas d'une extériorité, parce qu'elle est humaine, elle suppose l'entrée en accord des hommes. Or, c'est cette condition d'accord que Derrida critique. Pour lui, le pardon pur se doit d'être défait de la nécessité de ce rapport, de la marque encore trop conditionnelle d'un échange qui obture l'intentionnalité pure du pardon véritable. Pour Derrida, le pardon ne suppose pas nécessairement qu'une demande de pardon soit nécessaire. Ainsi, à l'affirmation de Jankélévitch « Le pardon est mort dans les camps de la mort [36] [HYPERLINK: https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2014-3-page-435.htm][36] L'imprescriptible, op. [...]
[...] Un devoir qui se réaliserait sans aucun intérêt serait donc vain car impossible. Jamais nous ne pardonnerions si celui- ci devait être radicalement gratuit, sans aucune conditionnalité. Il faut donc que le pardon pur soit non seulement possible, mais se réalise, non par la volonté de l'individu, comme une victoire sur la tentation d'exprimer son intérêt propre, mais au travers d'une décision qui engage l'individu dans un nouveau rapport à lui- même et à l'autre. Pardonner suppose donc d'effectuer une conversion, à partir d'un événement initial, soudain et spontané, supposant l'intention de pardonner à celui qui nous a offensé au nom de notre devoir d'homme. [...]
[...] Comment dès lors penser un acte de pardon absolument gratuit ? Pour Derrida, c'est en transgressant cette impossibilité de pardonner l'impardonnable que le pardon trouve sa légitimité la plus féconde, dans la mesure où il peut échapper à ce point extrême à sa conditionnalité et n'est plus contraint de la reconduire. Il gagne ici l'effectuation de son propre sens, au travers d'une expérience vécue qui outrepasse toute condition et toute limitation d'ordre moral. Il écrit à ce propos : « Le pardon, s'il y en ne doit et ne peut pardonner que l'impardonnable, l'inexpiable - et donc faire l'impossible. [...]
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