« L'homme est né libre, et partout il est dans les fers », écrit Rousseau. Le manteau de la liberté cachant bon nombre de petites chaînes, l'ordre est de fait considéré comme l'une des multiples
entraves à la liberté, et ce qu'on le comprenne, d'une part, comme quelque chose d'ordonné : l'ordre des choses, une organisation plus ou moins rigide, voire un ordonnancement nécessaire ; ou qu'on le comprenne, d'autre part, comme quelque chose d'exigé ? l'ordre d'un général à ses soldats, par exemple... Or, un examen plus attentif de la notion d'ordre révèle sa grande complexité. Si, à première vue, il s'agit de quelque chose à quoi on ne peut se soustraire, à moins, éventuellement, de désobéir, pour recouvrer sa liberté, l'ordre peut aussi émerger du sujet lui-même ou d'une instance qui ne lui est pas hostile, et peut donc être accepté volontairement : en ce sens, il se pourrait qu'il présente un visage moins contraignant, aliénant. Faut-il estimer que l'ordre est un obstacle pour la liberté, ou est-ce qu'au contraire on pourrait, dans un certain sens, y voir sinon un véritable support, du moins un élément susceptible de promouvoir la liberté, un terreau sur laquelle elle pourrait fleurir ? Si oui, à quelles conditions ? L'ordre s'oppose-t-il à la liberté ? (...)
[...] L'ordre qui règne dans la nature ne s'opposerait donc pas à la liberté. D'ailleurs, souligne Spinoza, tous les êtres ne sont que des modes finis de la substance divine (qui elle est une, et infinie) ; tout résulte de Dieu, de la Nature ; tout est par là même soumis à la nécessité, à un strict déterminisme. Or, précisément, les hommes se croient libres, et cette opinion consiste uniquement pour eux à être conscients de leurs actions et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés déclare Spinoza dans l'Ethique. [...]
[...] De fait, l'ordre émanant d'une instance politique les lois par exemple, qui constituent autant d'impératifs - peut s'avérer non seulement contraignant (je ne peux plus, à l'état social, faire ce que bon me semble : je ne suis plus seul, on m'ordonne de respecter les droits des autres), mais aussi injuste, inique, contraire à mes principes, et, d'une façon plus générale, à la moralité. En ce cas, l'ordre ne peut qu'entraver ma liberté. En outre, l'ordre social, le plus souvent inégalitaire, stratifié, pèse sur nos velléités d'indépendance ; il s'agit de composer avec l'état, l'ordre des choses. [...]
[...] En aucun cas il ne doit s'y plier systématiquement. En effet, seul est libre l'individu qui place sa conduite sous le signe de la raison et persévère dans son être. Tout homme s'avère confronté à des affections ; chaque rencontre avec un autre mode l'affecte, positivement ou négativement, en modifiant ses propres rapports constitutifs : soit je parviens à composer avec ce mode et alors je gagne en puissance soit je n'y parviens pas, ce qui diminue ma puissance et m'attriste. [...]
[...] Bien plus, si l'ordre émanant de moi-même ou d'une autre instance s'avère raisonnable et est, en tant que tel, accepté, alors il ne s'oppose pas à la liberté et peut même s'y identifier, dans le cadre d'une loi morale ou politique assimilée à un devoir. Enfin, reconnaître l'ordre des choses, et sélectionner les ordres susceptibles de développer notre propre 7 puissance, de gagner en authenticité constitue un tremplin vers une plus grande liberté. Quoi qu'il en soit, le critère de la raison semble fondamental : l'ordre ne s'oppose pas à la liberté si, d'une façon générale, il est raisonnable. [...]
[...] En ce sens, l'ordre se heurterait plus à la liberté qu'il ne s'y opposerait. Ainsi, dans le cadre politique, Hobbes souligne, dans le Léviathan, que les hommes vivant, à l'état de nature (qui est pour ce philosophe une pure hypothèse méthodologique), dans une guerre perpétuelle de tous contre tous, décident de passer un contrat d'association entre eux, par lequel ils abandonnent tous leurs droits, et donc leur liberté absolue. Puis, intervient un pacte de soumission avec le Léviathan, homme artificiel qui hérite de tous les pouvoirs des sujets et les concentre entre ses mains. [...]
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