Nous admirons les gens raisonnables. Nous leur conférons toujours une dignité et une force supérieures aux nôtres. C'est ainsi que nous éprouvons une certaine fascination pour nombre de religions. Nous trouvons déroutants les choix de vie des puritains anglais ou des jansénistes du XVIIe siècle, qui prônaient l'ascétisme et tout un ensemble de règles morales contraignantes. Et que dire des fols-en-Christ qui ont poussé à l'extrême le rigorisme religieux ?
Plusieurs fois par an, nous nous employons à rédiger des listes de résolutions qui visent, la plupart du temps, à instaurer davantage de mesure et de rigueur dans nos vies. Nous les tenons rarement, leurs exigences prenant un caractère insurmontable. C'est pourquoi nous élevons les gens guidés par leur raison au-dessus du commun des mortels. Sont-ils seulement dotés d'une sensibilité ? Leur capacité à éprouver sentiments et sensations diffère-t-elle de la nôtre ?
La question de savoir si raison et sensibilité s'opposent nécessairement peut se poser dans le cadre d'une réflexion éthique. Pour mener une vie bonne, doit-on la régler sur notre seule raison ? Doit-on faire primer les sens ? Pour agir moralement, laquelle de ces deux instances faut-il écouter ?
Il est vrai qu'être raisonnable implique souvent d'être qualifié d'insensible, de « sans-coeur ». Voyons d'abord dans quelle mesure cela se justifie. Mais ne peut-on ensuite montrer que la raison permet, au contraire, de développer et renforcer notre sensibilité ? Nous pourrons enfin terminer sur l'idée d'une conciliation harmonieuse de la raison et de la sensibilité.
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Qui est l'homme raisonnable ? Il peut s'agir de celui qui manifeste du bon sens, de la sagesse, de celui qui agit de manière réfléchie. Mais plus largement, l'homme raisonnable est celui qui fait usage de sa raison, qui se soumet à elle, la considérant comme souveraine et législatrice. Quelle que soit la définition acceptée, il semble que cet adjectif s'oppose à la sensibilité. L'homme de raison serait nécessairement insensible. Il faut entendre par là qu'il serait sourd à toute émotion, à tout sentiment, qu'il ne ressentirait rien. Dans quelle mesure peut-on dire que la raison exclut-elle la sensibilité ?
Premièrement, pour ce qui est de la rigueur des calculs, la sensibilité semble être un obstacle. Lorsque l'on s'attache à un cas particulier, on ne peut plus raisonner convenablement. Prenons par exemple un chef d'entreprise qui se tient à une sélection stricte de ses employés pour assurer la qualité de la production. L'affection qu'il porte à tel ou tel postulant pourrait le pousser à l'embaucher au détriment d'un fonctionnement optimal de l'entreprise (...)
[...] En effet, le fait même de posséder un corps semble exclure d'emblée la possibilité d'être insensible. Éprouver des sentiments et sensations du fait de nos sens relève de notre nature et conditionne même notre survie : par exemple, comment pourrions-nous savoir si notre santé court un danger si nous étions incapables de ressentir de la douleur ? De toute évidence, la sensibilité n'est pas mauvaise en soi. Elle n'est pas à exclure pour mener une vie bonne et heureuse, elle peut exister sans empêcher la raison de jouer son rôle. [...]
[...] Nous ne sommes pas vertueux de par notre capacité à éprouver quelque chose, mais dans nos dispositions à agir de telle ou telle manière relativement à nos affections. La raison qui accompagne une vie d'homme ne peut et ne doit renier la sensibilité. Celle-ci est indispensable et conduit à la vertu, à condition de savoir en faire bon usage. La sensibilité est notre nature ; une vie bonne s'accompagne à la fois de raison et de sensibilité. Allons encore plus loin en nous demandant si, après tout, un emportement et une primauté des sens ne seraient pas louables. [...]
[...] Comment dépasser cette opposition entre sensibilité et raison, qui semble presque insurmontable ? 3 IV. Conciliation L'opposition entre raison et sensibilité semble être fondamentale, incontestable. De nombreuses œuvres l'illustrent. Nous pensons directement au roman de Jane Austen, Raison et sentiments. Il n'est pas rare que films et romans nous donnent à voir un personnage qui est censé incarner la raison, la sagesse et la prudence et un autre qui n'est que transports émotionnels, frivolité et insouciance. Logiquement, si ces facultés de raison et de sensibilité s'opposent, c'est qu'elles peuvent être comparées et ceci implique qu'elles appartiendraient alors à un même domaine, à une même catégorie. [...]
[...] L'homme de raison serait nécessairement insensible. Il faut entendre par là qu'il serait sourd à toute émotion, à tout sentiment, qu'il ne ressentirait rien. Dans quelle mesure peut-on dire que la raison exclut-elle la sensibilité ? Premièrement, pour ce qui est de la rigueur des calculs, la sensibilité semble être un obstacle. Lorsque l'on s'attache à un cas particulier, on ne peut plus raisonner convenablement. Prenons par exemple un chef d'entreprise qui se tient à une sélection stricte de ses employés pour assurer la qualité de la production. [...]
[...] La sensibilité n'empêche nullement la raison de se réaliser et ne peut être anéantie par cette dernière. V. Conclusion À la question de savoir si être raisonnable implique nécessairement d'être insensible, nous dirons donc que non. Plutôt que de condamner directement la sensibilité, rappelons qu'elle n'est pas mauvaise en soi et qu'elle n'est pas à assimiler à l'irrationalité. Elle ne peut donc s'opposer à la raison et s'avère excessive que si on ne la modère pas un tant soit peu. [...]
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