Depuis les peintures de Lascaux, l'art se manifeste comme une témoignage de la présence des hommes. Cette manifestation est d'autant plus intéressante qu'elle se présente dans une totale gratuité, exprimant un rapport toujours reconduit entre l'inutile et l'essentiel. Cette nécessité ambiguë de l'objet d'art se trouve particulièrement mise en exergue dans le rapport qu'elle construit avec une subjectivité à laquelle elle se donne. L'expérience esthétique,
comprise comme la rencontre d'une individualité pensante avec un objet artistique, qu'il soit plastique, musical, littéraire ou encore cinématographique, affirme un pouvoir de l'oeuvre.
Celle-ci touche la subjectivité, elle produit en elle un effet inouï, inédit, bouleversant. La fascination si souvent décrite dans le rapport à un objet d'art mérite d'être interrogée, dans le mesure où celle-ci pose le problème de la position de la subjectivité par rapport à l'oeuvre. De quelle nécessité apparente le pouvoir de l'oeuvre relève-t-il ? Comment l'expérience artistique se construit-elle ?
Le rapport à l'oeuvre semble d'abord être une rencontre bouleversante entre un objet d'art et une subjectivité qui fait appel aux sens, si bien que l'expérience esthétique est une contemplation, source de jouissance. Plus précisément, la phénoménologie de l'expérience artistique met en lumière le rôle majeur que joue l'imagination dans le rapport à l'oeuvre, bouleversante du fait même qu'elle constitue une rupture dans le mode d'existence de la subjectivité. Il est pourtant possible de se demander si l'expérience artistique peut se réduite à la seule contemplation, dans la mesure où cette rencontre peut traduite un rapport d'intentionnalité qui fait de l'oeuvre d'art non pas un objet mais un évènement.
[...] Contempler une oeuvre d'art c'est au contraire apprécier ce qu'il y a d'irréel en elle, c'est à dire ce qui est fondamentalement absent et non-existant dans le réel. C'est en ce sens que Sartre affirme dans l'Imaginaire que "l'oeuvre d'art est un objet irréel." Il se trouve ainsi que le plaisir esthétique dans la contemplation soit lié à l'exercice de l'imagination, c'est à dire à la reconstruction de l'oeuvre dans l'imaginaire du contemplateur. En réalité, cette intervention de l'imaginaire dans l'expérience artistique peut être comprise de façon encore plus radicale au sens où l'imagination est non pas une faculté de l'esprit mais un état de la conscience qui devient dès lors, chez Sartre, conscience imageante. [...]
[...] Le langage de l'art, c'est à dire les modalités de communication de l'oeuvre, sont diverses. En musique, ce sont la succession de notes, à une certaine vitesse, réglée et déterminée par un choix de gamme, qui donne sa tonalité au morceau, mais aussi la présence de pauses et de silences, autant de procédés qui modulent la réceptivité du sujet. La peinture utilise quant à elle des couleurs spécifiques (dans Le Radeau de la Méduse, les nuances de vert et de gris viennent servir l'impression de mort et de décomposition voulue par le thème du naufrage), mais aussi des lignes, une perspective, des blancs même. [...]
[...] Ce va-et-vient entre les deux états de la conscience pourrait alors expliquer ce que d'aucuns voient comme un instant de grâce dans la contemplation. Mais il est toutefois une sorte d'art qui n'est pas forcément source de jouissance, comme le non-art proclamé par Duchamp. Cette réinvention de l'objet d'art peut même avoir un caractère répulsif. Cette forme d'art post-moderne continue pourtant de toucher les subjectivités. Est-ce à dire que l'expérience esthétique puisse se comprendre autrement que par la contemplation ? [...]
[...] Cette modification de l'intériorité du contemplateur est ce qui est source de plaisir. Toutefois, le plaisir esthétique paraît spécifique, il est différent des autres plaisirs. Bien que l'oeuvre ne soit communicable que par les sens, le plaisir esthétique a ceci de caractéristique qu'il n'est pas sensuel, mais sensible. En effet, le ravissement provoqué par la contemplation d'un tableau tel que La Jeune fille à la perle est différent de celui qui pourrait être éprouvé par le sujet qui voit passer une belle jeune fille à la peau laiteuse. [...]
[...] Ainsi, l'oeuvre d'art semble d'abord nous toucher en s'affirmant comme une unité irrécusable, qui se donne à contempler par la transmission de données sensibles à la subjectivité passive. C'est dans la nature de ces données sensibles que réside la spécificité de la contemplation esthétique, en tant qu'elle est source de jouissance. * * * Une phénoménologie de la contemplation esthétique met en lumière la part de plaisir éprouvé par la subjectivité dans son rapport à l'oeuvre. Mais tout en étant un plaisir des sens, celui-ci n'est pas sensuel puisque le sentiment esthétique semble désintéressé. [...]
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