Carré blanc sur fond blanc. En 1918, seulement une cinquantaine d'année après l'avènement de l'impressionnisme, Malevitch insuffle à la peinture une indéniable nouveauté : ce premier monochrome, et d'ailleurs le plus célèbre, avec son aboutissement radical de l'épuration, ne laisse pas indifférent. La peinture se révolutionne : "J'ai brisé les liens bleus et les limites de la couleur, j'ai pénétré dans le blanc ; à côté de moi, naviguez dans cet espace sans fin !", écrivait Malevitch. Mais là où certains voient une ouverture sur l'infini, une quête spirituelle, en un mot, un espace pour exister, d'autres verront bien au contraire un "degré zéro" de la peinture, et dénonceront une vaste supercherie, un leurre, une pseudo-oeuvre d'art qui viserait, par exemple, à obtenir la célébrité et la fortune du peintre par le scandale (...)
[...] I L'œuvre d'art : un leurre ? En quoi peut-on dire que l'œuvre d'art est un leurre, au delà de l'intuition spontanée que nous a inculquée notre jugement esthétique, au contact de telle ou telle œuvre ? Or ce jugement naît souvent d'une déception face à ce qui est présenté au regard de l'amateur (par opposition au créateur). En effet, l'œuvre d'art, contrairement à ce qu'on pouvait espérer, n'a pas pour but en général de copier la réalité, d'imiter la nature. [...]
[...] De plus, il a l'idée que la poésie est un art mensonger, une ressemblance qui ne fait que simuler les choses (c'est l'art comme mimèsis). Et en effet, cette idée n'est pas rare : un vingtaine de siècles plus tard, Debussy approuvera encore : l'art est le plus beau des mensonges Selon Platon, il existe trois degré de réalité, représentés par la théorie des trois lits : on trouve ainsi le lit intelligible, c'est-à-dire l'idée, le modèle du lit ; le lit fabriqué, le meuble ; et en dernier lieu le lit peint, représenté. [...]
[...] Ce que l'on pourrait alors considérer comme leurre reposerait plus sur des œuvres d'art qui ne répondent plus à la vie de notre culture, dans laquelle nous ne nous reconnaissons plus, mais par là même, cette réflexion nous amène à réfléchir sur nous-mêmes, et donc, à notre existence. Ainsi l'art est le terreau d'illusion qui permet à la vie de se développer et de se guérir de la vérité avec laquelle on ne peut pas vivre. L'œuvre reste donc, apparemment, un espace pour exister, pour exprimer ou reconnaître sa vie. [...]
[...] Or l'art au travers des œuvres exprime l'humanité de l'homme : du point de vue du créateur, l'œuvre, c'est le moi rendu sensible ; et si la liberté est le rapport entre un acte et le moi concret (selon Bergson), si l'œuvre manifeste le moi de l'artiste (ici et maintenant), alors l'œuvre est bien, du point de vue du créateur, le moi se prenant pour objet. Il y trouve un lieu pour se tenir, un espace pour exister. L'œuvre d'art est en effet une puissance d'abstraction qui réorganise le champ perceptif (une sculpture va aussi sculpter ses abords, elle prend le pouvoir à l'endroit où elle se trouve), crée un espace vécu densifié qui va avoir un sens humain, et une orientation. [...]
[...] L'œuvre d'art incarne une vérité vécue, une existence. Pour le cas du ballet, l'œuvre d'art représente à travers la danse non pas une simple traduction et abstraction de la vie, mais bien la vie elle-même : ce mode d'expression touche aux confins de l'expression dans l'espace, pour le corps, mais aussi pour l'âme, puisque le geste est matérialisation de l'esprit dans l'espace, et que le corps peut être perçu comme une hiérarchie d'âmes, selon Nietzsche. Ce qui importe par-dessus tout dans une œuvre d'art, c'est la profondeur vitale de laquelle elle a pu jaillir déclarait James Joyce. [...]
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