Si chaque « vision du monde » semble en un sens aller de soi, ou être « naturelle », c'est aussi parce qu'elle est partagée par les membres d'une même culture. Elle doit donc sans doute beaucoup à l'un des aspects fondamentaux de cette culture, c'est-à-dire au langage.
Ce dernier n'est pas seulement ce qui assure la communication. Il est d'abord ce qui fournit les sujets (ou les objets) sur lesquels communiquer, et les formes de réflexion ou d'argumentation qui pourront être mises en jeu dans une discussion. S'interroger sur la façon dont le langage influence notre « vision du monde », c'est inventer à mieux comprendre sa constitution, et sa singularité.
[...] La vision du monde que proposent des spécialistes et des technocrates devient très différente de la vision du monde des citoyens de base. Il est assez facile de constater que le langage influence grandement la vision du monde que nous pouvons former. Mais s'en tenir à cette observation générale serait oublier que, à l'intérieur même d'une société moderne, les langages spécialisés ne sont pas également maîtrisés par tous. On débouche ainsi sur un constat de tout autre nature, puisqu'il concerne la démocratie elle-même et la diffusion qui peut être faite du savoir. [...]
[...] Notre vision du monde doit-elle quelque chose au langage ? Si chaque vision du monde semble en un sens, aller de soi, ou être naturelle c'est aussi parce qu'elle est partagée par les membres d'une même culture. Elle doit donc sans doute beaucoup à l'un des aspects fondamentaux de cette culture, c'est-à-dire au langage. Ce dernier n'est pas seulement ce qui assure la communication. Il est d'abord ce qui fournit les sujets (ou les objets) sur lesquels communiquer, et les formes de réflexion ou d'argumentation qui pourront être mises en jeu dans une discussion. [...]
[...] Par exemple, la classification des organismes vivants compte aujourd'hui quelques millions de termes. Ou encore, le langage des mathématiques s'enrichit sans cesse de nouveaux concepts et de nouvelles relations. Tous ces vocabulaires spécialisés sont ignorés des non-spécialistes, et le public ne peut comprendre le monde tel qu'ils conçoivent les sciences. La philosophie elle-même dépend initialement de la langue grecque : Non seulement parce qu'on admet qu'elle se manifeste d'abord dans cette langue, mais plus fondamentalement parce que la question : Qu'est- ce que l'être ? [...]
[...] Bergson souligne les déformations que les mots-étiquettes imposent à l'existence subjective ou à la connaissance. En effet, si ce qui existe dépend d'un fond de créativité permanente ou d'un élan vital nommer, c'est y découper des moments ou des états figés qui ne peuvent constituer une vision du monde de valeur. Mais ce que découvre l'intuition ne peut être transmis que par du langage : il s'agit alors de déconceptualiser les mots, ou d'en inventer un usage métaphorique, et c'est bien ce à quoi aboutit Bergson lui-même. [...]
[...] Les pathologies du langage restreignent la vision du monde : ne pas désigner par un mot, c'est ignorer une chose, être condamné à ne pas la cerner. Le langage désigne avant tout des catégories : Rousseau (Discours sur l'origine des langues) imagine que, dans les langues initiales, le vocabulaire était particulièrement vaste, parce que chaque objet singulier devait avoir un nom propre Les noms communs énoncent ce que partagent une multitude d'objets, indiquent un progrès dans la pensée conceptuelle : le monde est composé, non d'une infinité d'objets différents, mais de classes d'objets comparables. [...]
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