La seule chose claire et certaine est que tout homme cherche à être heureux : le bonheur est une finalité visée par tous et qui ne demande même aucune justification. Mais, sorti de cette première évidence, le philosophe se sent bien démuni pour persévérer dans son travail habituel de définition : quelle spécificité pourrait avoir cette notion pour qu'il parvienne à la conceptualiser puisque la représentation que chacun se fait du bonheur relève de son imagination, maîtresse dans l'art des médiations variables selon le vécu des manques et des absences : si j'avais, si j'étais... alors ce serait le bonheur ! Et l'argent ou le pouvoir, les honneurs ou l'amour d'entrer dans la ronde. Une autre certitude viendrait-elle aider le philosophe par l'assurance que jamais la réalité n'est à hauteur de l'imagination et que la concrétisation des désirs a immanquablement le goût fade de la possession ?
Enfin, il paraît possible que le bonheur qui convient à chacun, ne pouvant être le bonheur qui convient à tous, l'idée d'un bonheur de l'humanité en général
relève d'une utopie de la raison.
D'une telle indigence pour construire un concept s'en suivent les classiques contradictions entre bonheur individuel et bonheur partagé, bonheur et moralité, bonheur et durée ou bonheur et extériorité. La question de la topologie du bonheur se résume à celle, épineuse, de la conciliation.
Il devient inutile d'aller plus avant pour chercher l'impossible “comment” du bonheur. Tournons-nous plutôt vers le poète qui, parfois, sait si habilement
guider le philosophe. Et la phrase de René Char «L'impossible, nous ne l'atteignons pas, mais il nous sert de lanterne» nous permettra de reformuler
philosophiquement la problématique du bonheur : pourquoi le désir de bonheur est-il le propre de l'homme?
[...] La recherche du plaisir mène au malheur, tandis que la recherche du bonheur augmente le plaisir. Lorsque le bonheur est inaccessible parce que occulté par l'état d'urgence chronique, on a le besoin de trouver une compensation dans le plaisir, gratification de niveau inférieur mais qui peut tromper la conscience en lui faisant croire que tout va bien. Bien sûr, c'est un leurre, on ne peut pas avoir John Stuart MILL, Autobiographie Claude ROMMERU, Contributions au bonheur, Ellipses pp.5-8. plus de plaisir qu'il n'y a de besoins physiologiques à assouvir : on ne peut pas avoir plus faim que faim simplement pour le plaisir de manger, on ne peut pas avoir plus soif que soif simplement pour le plaisir de boire, etc. [...]
[...] Et il est affreux de n'avoir pas de domicile; mais qui serait heureux, simplement, d'en avoir un ? On peut mourir d'amour, enfin, mais point en vivre : déchirement de la passion, ennui du couple . Il n'y a pas d'expérience du bonheur, il ne peut y en avoir. C'est que le bonheur, explique Schopenhauer, n'est rien de positif, rien de réel : il n'est que l'absence de la souffrance, et une absence n'est rien. satisfaction, le bonheur, comme l'appellent les hommes, n'est au propre et dans son essence rien que de négatif . [...]
[...] Elle semble réservée à un âge de la vie bien particulier, l'adolescence et ses premiers émois. ( . ) Pour certains suffit la sentence de Hegel, selon laquelle, lorsqu'on a “trouvé une femme et un métier, on en a fini avec les questions posées par la vie.”10 De la désinvolture à la panique Les quatre facteurs de tranquillité sociale reposent sur la conjonction de : la prospérité matérielle la redistribution sociale MAIS le chômage l'État Providence rogne les acquits sociaux le SIDA renoue la vieille alliance du sexe et de la mort la guerre en Europe les progrès de la médecine la paix assurée par la dissuasion nucléaire Notre société reste foncièrement doloriste (malgré les campagnes de prévention à la TV) 10 Luc FERRY, L'homme-Dieu ou le sens de la vie, Grasset pp. [...]
[...] Bernadette DELAMARE, Le bonheur, Ellipses pp.19-32. la fois orientées dans une certaine direction et animées d'intentions qui leur confèrent, à nos yeux comme à ceux des autres, une certaine signification. Pourtant, la question du sens de ces projets qui donnent sens nous échappe. Dans la vie quotidienne, nous savons sans doute, à chaque instant ou presque, pourquoi il nous faut accomplir telle ou telle tâche supposée mais l'utilité de cette utilité demeure le plus souvent, lorsqu'il nous arrive d'y réfléchir, opaque ou douteuse. [...]
[...] Une simple expérience suffit à le prouver. Je suis seul dans un compartiment de chemin de fer ou dans la salle d'attente d'un médecin; mes pensées voguent librement ; je m'installe à mon aise, sans souci de mon attitude. Mais voici que quelqu'un entre; c'est un parfait inconnu, un individu qui, a priori, n'est appelé à jouer aucun rôle dans ma vie, que je ne reverrai sans doute jamais. Et pourtant, aussitôt, je rectifie ma posture, je me soucie de mon apparence, de l'impression que je peux faire ; mes pensées perdent leur belle liberté et s'attachent à mon être, à ma relation à l'autre; si j'ai une tache ou un trou dans mes vêtements, je suis horriblement gêné; de même si je ne me trouve pas assez beau ou assez bien mis. [...]
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