D'après Nietzsche, c'est le langage qui est la principale source de cette illusion (il emploie les termes « communiqué » et « formé ») : comme il répond à un besoin social de transmettre tout ce qui est facilement communicable, il condamne notre pensée au superficiel et au banal. De plus, comme nous sommes habitués à classer les choses à l'aide des cadres du langage humain, nous ne nous nous rendons pas compte que ce que nous prenons pour la réalité, ce n'est que sa mise en forme humaine, voire « trop humaine », comme disait Nietzsche. Nous nous égarons alors dans des considérations purement générales, et partant, dans une représentation « fictive » de l'homme que le philosophe assimile à une « abstraction exsangue ». En effet, ce sont ceux qui se complaisent dans leur soi-disant condition d'être libre de pensée et de culture qui s'éloignent le plus de la réalité, c'est-à-dire l'essence-même de l'homme, cet être de chair et de sang où la vie coule dans ces veines (...)
[...] Il ne s'agit pas pour autant de conclure qu'elle demeure impuissante. Dénoncer les illusions dont elle est porteuse n'invite en aucun cas au renoncement, mais plutôt à la vigilance, voire même à la lutte contre l'uniformisation des idées (dans ce passage, on se rend bien compte à quel point l'attitude de Nietzsche est celle d'un révolté, d'un insurgé). C'est tout ce qui fait l'intérêt de chaque existence. [...]
[...] Mais, d'après Nietzsche, la grande majorité des individus, rendus faibles, entravent l'épanouissement des forts, des puissants Ainsi, cette morale des faibles qui prêche la modestie, le renoncement au pouvoir sur autrui, ne serait selon lui qu'un façon habile pour le plus grand nombre d'éviter de subir la forces des puissants en neutralisant ceux-ci par des valeurs qui les entravent dans leur volonté de domination et en empêchant l'avènement du surhomme. Par conséquent, la conscience que les faibles se plaisent à croire désintéressée, ne serait d'après Nietzsche qu'une façon rusée de servir leurs intérêts dissimulés. Toutefois, nous pourrions objecter au philosophe que cette morale du sacrifice et du renoncement n'est peut-être au contraire qu'une ruse habile des oppresseurs pour détourner les opprimés de la tentation de renverser les rapports de force La conscience n'est donc jamais absolument autonome et souveraine. [...]
[...] Ainsi, Nietzsche, en polémiste violent, s'en prend ici à toutes les idoles, c'est- à-dire aux valeurs de la mode qui ne font qu'exalter le rien. L'ensemble de ces jugements empruntés, de ces fantasmes se juxtaposent, se confondent, à l'image du brouillard qui, lorsqu'il se présente à nous, peut nous empêcher de retrouver notre chemin. Il devient alors impossible de se démarquer vis-à-vis des autres, car nous subissons la représentation partielle et déformante de notre environnement qui s'avère de plus en plus confus à nos yeux. [...]
[...] D'ailleurs, le philosophe souligne nettement la distinction qui s'impose instinctivement entre ces gens qu'il considère comme faibles et ceux qu'il appelle les puissants Cela est particulièrement visible lorsqu'il ironise son propos en employant les adjectifs extraordinaire et irrationnelle pour montrer à quel point la perception des faibles, aveuglés par leurs idéaux, à propos de leur condition humaine est dépendante de celle de leurs supérieurs seuls aptes à les éclairer. Par ailleurs, Nietzsche semble considérer cette morale des faibles comme une sorte de domination de la faiblesse sur la force, de la peur sur la vie, de la servilité sur le courage de s'affirmer soi-même au risque de sa vie. Cette morale est une morale d'esclaves qui retournent contre eux- mêmes leur ressentiment et qui font l'éloge de la faiblesse et de l'humilité pour empêcher ceux qui veulent sortir du troupeau de s'exprimer et de s'affirmer. [...]
[...] Néanmoins, Nietzsche dénonce dans ce passage cette conscience que nous croyons avoir de nous-même qui se réduit souvent à l'image que, dans un esprit moutonnier, nous allons chercher dans le regard d'autrui. Il remet en cause l'illusion de la souveraineté de la conscience, qui, loin d'être autonome, ne serait que l'effet obscur de la combinaison de nos instincts et pulsions à l'œuvre. En effet, les individus croient qu'ils adhèrent librement aux valeurs partagés avec leurs semblables, alors qu'en réalité, les idéaux, issus de la mauvaise conscience et du ressentiment, s'imposent à leur insu. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture