Si croire une histoire naturelle parce qu'on considère son résultat actuel comme nécessaire de tout temps est une erreur, que dire des deux autres acceptions du caractère naturel d'une histoire ? Toute histoire réalise-t-elle la nature de ce dont elle est histoire ? Toute histoire se déroule-t-elle exclusivement selon le principe de développement de ce dont elle est histoire ? Il semble à l'évidence que ce ne soit pas le cas : d'abord, tous les buts poursuivis par l'humanité dans son ensemble, ou par ses membres pris individuellement, ne sont pas nécessairement réalisés ; ensuite, il existe quantité d'obstacles qui entravent le développement « naturel », spontané d'un être. Faut-il pour autant renoncer à considérer l'histoire comme naturelle ? C'est ce que nous allons examiner ici. Nous nous attacherons dans un premier temps à étudier quelles peuvent être les fins de l'histoire de l'humanité et à voir au nom de quoi ces fins devraient nécessairement être atteintes ; dans un deuxième temps, nous nous efforcerons de ré-évaluer la pertinence de l'idée que l'histoire est un processus de mise en œuvre d'une fin, afin de donner sa vraie place à la nécessité dans l'histoire individuelle.
[...] Dans l'optique chrétienne, le penchant naturel n'est ni la bonté ni l'exercice de la raison, mais la tentation du péché : ainsi Dieu provoque-t-il le déluge à cause de la décadence humaine, et ne sauve qu'un juste, Noé, et sa famille ; ainsi détruit-il la tour de Babel, produit de l'orgueil de l'homme. L'Ecriture est peuplée de guerres, de massacres, de crimes et de trahisons. C'est encore l'homme qui, emporté par sa nature pécheresse, va tuer le Fils de Dieu. Prendre comme point de départ une qualité humaine pour lire l'histoire de l'humanité, et l'ériger en fin nécessaire, cela ne va donc pas de soi. L'homme est aussi naturellement plein de défauts, et son inclination au mal les résume à elle seule. [...]
[...] Si la nature humaine n'est pas plus attirée par le bien que le mal, son histoire n'est plus décidée à l'avance : son histoire n'est plus naturelle au sens où elle n'a plus de nature à réaliser. La nature devient elle-même une potentialité, et non plus une définition éternellement figée. Si la nature n'est plus une essence éternelle qui aurait à se réaliser dans le temps mais une potentialité ouverte que son inscription dans le temps vient actualiser, comment comprendre que son histoire soit naturelle ? Elle ne le sera plus au sens où elle réaliserait une nature. [...]
[...] Mais en quoi l'histoire est-elle naturelle ? Jusqu'ici, nous avons jugé naturelles l'histoire individuelle de la vie de Balzac et celle de l'humanité en général au sens où ce que l'on sait présentement d'elles est une donnée irréfutable que l'on a tendance à croire aussi nécessaire pour les temps passés que le temps présent. En ce sens, il n'est pas difficile de remettre en question ce présupposé, et de refuser de qualifier les histoires de naturelles. Mais l'utilisation de ce terme pose un autre problème : celui du rapport entre l'essence et l'existence. [...]
[...] La nature humaine se définit donc avec ce qui vient à elle, de l'extérieur : son histoire n'est pas naturelle au sens où son principe de développement ne lui est pas strictement intérieur, mais au sens où il lui est aussi suggéré par l'extérieur. La nature humaine se développe selon le principe de la liberté et de la réaction à la contingence. Si nous avons récusé l'idée d'une histoire naturelle dans le cas de la nature de l'humanité en général, nous n'avons pas déterminé si on pouvait toujours parler de destinée personnelle or telle était la question qui avait amené notre réflexion. [...]
[...] Pour rejoindre Sartre, l'existence précède l'essence, c'est-à-dire qu'elle contribue à la définir en l'enrichissant. Inscrit dans le temps, je deviens, je crée ma nature ; je ne deviens pas ce que je suis, mais je suis ce que je deviens. Pour revenir au cas de Balzac on peut, à la lumière de nos réflexions précédentes, dire que sa vie n'était pas une écrite, et que son talent n'a pu se faire jour que parce qu'il a été à même de le vouloir, et de le faire advenir en affirmant notamment contre les diktats familiaux que c'était à la littérature qu'il se vouait. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture