Quand on juge d'une conduite, il arrive qu'on dise qu'elle est contre nature. Que cela signifie-t-il? L'homme qui agit contre nature veut-il la vaincre? Il semble que dans cette expression courante, l'on désigne moins un combat qu'une simple opposition. Une conduite contre nature est une conduite immorale. Elle s'éloigne de la nature, elle fait pire. Quelqu'un qui agit contre nature enfreint une règle, la règle naturelle. Il ne vaut pas même une bête. La nature semble donc clairement faire office de norme en matière d'éthique. Mais la nature est-elle une norme? Une norme est un type concret ou une formule abstraite de ce qui doit être, en tout ce qui admet un jugement de valeur. Une norme est donc ce qui doit être suivi pour agir de façon éthique. Que font les animaux, sinon coïncider avec la nature et la suivre? L'homme, en prenant la nature comme norme, n'aurait donc pas de fin plus noble que celle des animaux? Qu'il s'agisse de nature pris au sens universel (le cosmos, par exemple) comme au sens de nature humaine, si elle est une norme, l'homme a une fin prédéterminée, qui est de répondre à cette norme. Se pose alors le problème de sa liberté; de plus, faire de la nature une norme, c'est lui donner un aspect transcendantal: on peut se demander si cela est fondé. Enfin, dire que la nature est une norme, c'est dire que la nature est le seul lieu où l'homme peut trouver une valeur éthique: n'est-ce pas vraiment limitant?
[...] Cette bonne volonté qui se donne à elle-même sa propre loi est ce que Kant appelle l'autonomie. Et la liberté, c'est cette faculté d'autonomie que nous possédons et qui nous permet de nous imposer à nous-mêmes le respect du devoir. Car céder à ses humeurs, à ses impulsions, c'est se soumettre à la loi qui règne dans le monde phénoménal, et qui est le contraire de la liberté. Ainsi, la morale est purement rationnelle, comme le montre l'impératif catégorique: "agis de sorte que la maxime de ta volonté puisse aussi servir en tout temps de principe pour une législation universelle." L'action est donc précédée d'un acte purement rationnel: d'abord, extraire de ma volonté sa maxime, puis voir si elle a une valeur de principe universel valable pour toute action. [...]
[...] Lui, est le seul qui semble vraiment digne d'intérêt: "C'est le Surhumain qui me tient au coeur". La conduite véritablement éthique n'est- elle pas le dépassement constant de toute nature? Transcender sa propre réalité n'est-il pas l'idéal évident de toute action humaine? Dans ce cas, la nature de l'homme ne serait plus une norme, mais une borne à franchir, borne qui chaque fois franchie serait repoussée de nouveau. La conduite véritablement éthique: l'exigence sans fin envers soi, la seule véritable façon d'être libre. [...]
[...] Vivre selon la nature consiste alors à "être gouverné conformément à l'impulsion". "Mais quand la raison est donnée aux êtres raisonnables en vue d'une régulation plus parfaite, à bon droit pour eux vivre selon la nature devient vivre selon la raison". La raison, donc, est ce qui distingue l'homme de l'animal, en ce qu'elle est un moyen humain d'agir selon la nature . La nature est donc une norme, mais tandis que l'animal la suit selon ce qu'on appellera l'instinct, l'homme la suit selon la raison. [...]
[...] La nature est un fait, un processus. On envisage déjà les implications éthiques de cette définition: aller contre ce processus, c'est aller contre soi: si j'empêche que le processus ait lieu en moi, je manque mon propre accomplissement, je ne suis pas entièrement ce que je suis, puisque le mouvement qui me caractérise en tant qu'être naturel est interrompu. C'est particulièrement visible lors du suicide, façon radicale d'empêcher le processus qu'est la nature de s'accomplir en moi, qui aboutit à la mort. [...]
[...] Pour que la nature reste une, il faut que ses deux aspects soient en concordance. Il va donc falloir chercher à connaître et comprendre ce rapport entre les deux natures pour agir de façon éthique: en effet, si l'homme n'agit pas en essayant d'accorder sa propre nature à la nature universelle, il agit contre lui- même, puisqu'il est une partie du tout, et qu'en se désolidarisant du tout il lui nuit, et donc se nuit à lui-même, puisqu'il ne peut pas être sans le tout. [...]
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