L'homme est-il, comme l'affirme Sartre, « condamné à s'inventer lui même ? » En d'autres termes, est-ce parce-que contrairement aux animaux, nous ne sommes originellement rien que notre dimension fondamentale est celle d'être en devenir ? Dans ce sens on peut se demander : « Naît-on humain, ou le devient-on ? » Nous verrons tout d'abord qu'une nature originelle ne nous est pas donnée, et que la vie nous est livrée sans « mode d'emploi ». Nous verrons ensuite que le sujet individuel « je » ne se crée que dans un processus de dialogue et d'échange avec les autres êtres humains. Enfin, nous montrerons que si nous pouvons devenir humains, la persepective de l'inhumain s'ouvre toujours devant nous : nous sommes tous les fils de Caïn.
L'animalité est toujours définie à l'intérieur d'une espèce régie par un instinct donné. Tous les spécimens d'une même espèce se comportent de la même manière. Or, un examen, même superficiel, de l'espèce humaine ne nous montre pas une telle unanimité de comportement : tout au contraire, aux différentes époques et en divers lieux, les hommes se agissent, pensent, vivent de manière différente : leurs cultures sont toujours différentes les unes des autres, et elles sont en perpétuelle mutation. Il est alors impossible d'enfermer l'homme dans une essence unique : autant de civilisation, autant d'images de l'homme possibles.
En revanche, ce qui unit les hommes ensemble est une même condition : celle d'être mortels et d'en avoir conscience, celle d'avoir conscience d'une transcendance et de leur incapacité à l'atteindre, celle de devoir aimer et être juste, mais aussi parfois dominés par la haine et l'injustice. Mais on remarque que, par rapport à une nature, tout ceci se pose en termes de questions, et non de réponses comme chez l'animal. Ce qui nous unit tous au sein de l'espèce c'est une communauté de problèmes, non une communauté de réponses. Or ici, rien n'est ni absolu, ni définitif, mais au contraire de l'ordre du partiel, pour ne pas dire du partial, et du relatif, et du temporaire. L'homme est bien un être en devenir.
[...] Nous verrons tous d'abord comment la perfectibilité éloigne l'homme de l'animalité, puis nous montrerons le lien entre liberté et perfectibilité, avant de nous interroger sur le sens positif ou négatif de ces progrès de l'homme / L'homme est perfectible dans la mesure où il est défini essentiellement comme un être en puissance, non en acte Par opposition à l'animal dont les caractéristiques spécifiques sont immuables, l'homme est un être en devenir. - l'homme n'est pas informé héréditairement comme l'animal qui possède dès sa naissance un instinct. (Canguilhem) Ceci a pour l'animal la conséquence d'être parfaitement aliéné aux conditions naturelles. Il n'y a pas de milieu naturel à l'homme : par son travail l'homme invente son propre milieu. Il est donc contraint à la perfectibilité, il est contraint à s'inventer lui-même. [...]
[...] Caïn en tuant son frère fait de l'humanité l'être fratricide comme Jésus en mourant pour ses frères devient amour de son prochain Il n'est aucun de nos actes qui, posant ce que nous voulons être, ne pose en même temps une certaine image de l'homme. On ne naît pas homme, parce que l'humain ne peut être posé comme une essence unique, toujours et partout identique. Être un être humain, c'est être conscient. Or cette conscience est un processus relationnel et non une donnée de faits - Au commencement de sa vie, l'homme naît dans un état d'immaturité tout à fait remarquable. Ce qui le constituera en tant qu'être humain, sa conscience n'apparaît encore que de manière très embryonnaire. [...]
[...] La nécessité est incapable d'expliquer à elle seule les prodiges de technique que l'homme est capable de réaliser. C'est au prix d'un effort volontaire, d'une capacité à plier sa volonté à un projet que définit sa conscience. - C'est originairement parce qu'il ne se confond pas avec ses objets, parce qu'il se constitue comme un sujet en face de ses objets, au lieu de se laisser absorber par eux, que l'homme est conscient et perfectible. Du chien qui ronge son os, on pourrait aussi bien dire qu'il est rongé par l'os, puisqu'il n'est plus que cela, un plaisir lié à une chose. [...]
[...] Ainsi notre moi est-il une donnée nécessairement de l'ordre du devenir Nous voyons bien que notre être conscient, qui forme une bonne part de notre humanité est en devenir. Sans doute n'est-ce à l'heure de notre mort que nous pourrions immobiliser cet être que nous avons été : car tant que nous vivons nous faisons des choix et donnons un autre sens à notre vie. L'être humain est à ce point en devenir qu'il est le seul à pourvoir devenir, non seulement humain, mais aussi son inverse, inhumain Nous allons montrer que la perfectibilité humaine, cette capacité à devenir autre, peut agir dans le sens à la fois de son humanité et de son humanité, et que l'homme n'est jamais assuré de cette humanité. [...]
[...] De là, tout tort volontaire devint un outrage, parce qu'avec le mal qui résultait de l'injure l'offensé y voyait le mépris de sa personne souvent plus insupportable que le mal même. C'est ainsi que, chacun punissant le mépris qu'on lui avait témoigné d'une manière proportionnée au cas qu'il faisait de lui-même, les vengeances devinrent terribles et les hommes sanguinaires et cruels. (Rousseau) Les philosophes des lumières, tel Condorcet, sont victimes d'une illusion : ils confondent progrès des connaissances, et donc de la raison et progrès du bien, et donc de la volonté. Or la raison peut tout aussi bien mener l'homme à sa perte que de le conduire au bonheur. [...]
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