Cet essai analyse l'article de Thomas Nagel "What is it like to be a bat" ("Qu'est-ce que cela fait d'être une chauve-souris"). Il s'agit de discuter, avec Nagel, de la pertinence et des limites théoriques du physicalisme dans les sciences cognitives. En quoi la réintroduction de la conscience dans les sciences cognitives est-elle problématique ? Qu'est-ce qui fait la spécificité de la conscience phénoménale, et en quoi est-ce un obstacle à la connaissance des mécanismes de la vie mentale ?
Cet essai est un essai de philosophie et de sciences cognitives.
[...] Le présupposé de son argumentation est que les chauve-souris ont une conscience phénoménale, tout comme les agents cognitifs humains. Ce n'est pas une décision théorique arbitraire, mais la conséquence nécessaire d'un autre présupposé : si l'on admet, en suivant en cela une croyance commune, que ces animaux ont une certaine forme d'expérience du monde, et que, pour cette raison, cela fait un certain effet d'être une chauve-souris, alors il faut reconnaître qu'elles ont une conscience. Nous aurions tort de penser qu'il n'y a rien de précis et de particulier dans l'effet que cela fait d'être une chauve-souris, dans ce que Nagel appelle un « what-it-is-like ». [...]
[...] Sans avoir compris ce qu'est le caractère subjectif de l'expérience, on ne peut pas déterminer ce que requiert et implique une théorie physicaliste de l'esprit. Si une théorie physique prétend prendre pour objet l'esprit, elle ne peut passer sous silence les caractéristiques phénoménologiques de l'expérience, comme on pourrait le faire dans le cadre d'une réduction chimique, où l'on choisit d'ignorer les traits phénoménologiques de la substance analysée. Par conséquent, une théorie physicaliste valide de l'esprit devrait traiter les caractères phénoménologiques selon une méthode physicaliste. [...]
[...] C'est donc une remise en cause du cadre fondationnel du cognitivisme sur deux points : sur la définition du domaine et sur les principes présupposés à l'explication scientifique en cognition. Comme Nagel le souligne dès 1974, on affirme qu'il est impossible de faire une science aboutie des facultés cognitives sans poser, même sans prétendre y répondre absolument, le problème de la conscience. C'est plus précisément dans les années 1990 qu'émerge une véritable théorie de la conscience, qui s'appuie en partie sur les propositions de Nagel. [...]
[...] Nagel envisage deux possibilités quant aux limites que rencontre le physicalisme. Tout d'abord, il s'agit d'une limite de fait : dans l'état actuel de ses capacités, concepts et outils scientifiques, l'homme n'est pas capable d'avoir une connaissance théorique de la conscience, et il n'est pas certain qu'il puisse jamais le faire. Cependant, il y a peut-être une deuxième impossibilité, plus radicale car en droit : il existerait des faits, tels que que ceux de notre expérience subjective, qui ne sauraient être représentés, du fait de la structure de notre entendement. [...]
[...] Cependant, il ne renonce pas pour autant à toute forme de naturalisme. Sa position est celle d'un dualisme naturaliste, compatible avec le matérialisme : il admet une dépendance, dans l'ordre des propriétés, entre les faits physiques et les faits mentaux relevant de la conscience phénoménale, mais il postule en plus l'existence de faits contingents, non réductibles à des faits physiques. Ainsi, si Chalmers, tout comme Nagel, réfute le réductionnisme pour expliquer intégralement la conscience phénoménale, il ne rejette pas tout à fait le fonctionnalisme, qui permet de poser une indépendance entre les états de la conscience phénoménale et son substrat matériel (le cerveau). [...]
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